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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 22 mars 2009

LA PUCE A L’OREILLE

Pas de doute : c’est du beau et du bon théâtre, populaire au sens noble du mot, que le public iledefrancien peut savourer sans modération.
Après l’Athénée, la troupe du Volcan bleu a campé à la Piscine de Châtenay-Malabry (92). Le metteur en scène, Paul Golub est bien connu dans la région puisqu’il a déjà présenté au théâtre Firmin Gémier d’Antony Mystère Poe en 2003, l’Illusion Comique de Corneille en 2004, un Siècle d’industrie de Marc Dugowson en 2005 puis Nuits à Bagdad de Mohamed Kacimi l’année dernière.
Avec Pierre Golub la chose est certaine : la surprise sera toujours de mise. Vous aurez l’impression d’avancer en terrain connu et pourtant rien ne se déroulera comme prévu. L’écriture de Feydeau est un régal. Ses personnages s’évertuent à maintenir les convenances, inconscients de l’imminence du fiasco. C’est que, oui, le monde est petit et ils auront beau multiplier les ruses, la vérité finira par leur exploser au visage.

Ce n’est pas parce qu’elles ont été élevées au couvent que Raymonde et Lucienne ont acquis les bonnes manières. La première, persuadée que son époux la trompe, cherche une preuve pour le confondre, probablement poussée par la vexation de penser qu’il ait pu passer à l’acte avant elle. Dieu qu’elle enrage de n’avoir pas encore réussi à faire tomber le beau Romain.

La maison est vite en feu. Ses soupçons ont surgi par mégarde (en inspectant son courrier tout de même, et c’est elle qui nous le dit). C’est çà qui lui a mis naturellement la puce à l’oreille. Expression savoureuse puisque au XIII° siècle elle signifiait éprouver du désir amoureux. On devine dès lors que tout va prendre un double sens.
Plaider le faux pour apprendre le vrai est une vieille recette. Le coup de la lettre marche toujours à condition d’avoir une belle plume. Lucienne joue l’écrivain public. Entre amies on se serre les coudes sans mauvaise conscience : les hommes se soutiennent entre eux, faut que les femmes en fassent autant. Elles n’y vont pas par quatre chemins. Sans état d’âme : y’a rien de plus menteur qu’un homme si ce n’est une femme.

Et c’est parti pour 2 heures 35 de chassés croisés, de quiproquos, de Missverständnis comme disent les allemands. Car le malentendu, c’est bien entendu une affaire de communication où le langage est la source intarissable.

Les incompréhensions et les rebondissements s’enchaînent jusqu’à plus soif, jusqu’à l’écoeurement. Etienne est le seul honnête homme dans cette débauche de sentiments, le seul aussi à ne pas chercher à confondre l’autre. Il sera confronté à sa propre réalité et paiera cash les pots cassés par tous les autres.

Feydeau révèle les dessous pas chics de toutes ces petites affaires domestiques dont il fait miel comme une abeille industrieuse. Quelle ruche ! Quel ballet ! Pas moins de 200 entrées et sorties de scène. Les portes claquent. On passe par l’une, on resurgit par l’autre. Quand une porte est bloquée c’est la fenêtre qu’on ouvre. Quel festin !

Rien n’est caché au spectateur, y compris les changements de décor sur la célèbre musique entraînante de You Can Leave Your Hat On de Joe Cocker. On pense aussi à l’atmosphère Second Empire du salon particulier de l’hôtel du Huis clos de Jean-Paul Sartre. Chacun est le démon de l’autre. Les idées fixes virent à l’obsession sous le sourire narquois d’une Mona Lisa qui reste les bras croisés. La machine infernale est lancée. Le désir est le moteur de l’action. Un fantasme peut en cacher un autre. On aura beau hurler I can’t get no satisfaction dans toutes les directions comme dans la chanson des Rolling Stones le calme n’est pas prêt de revenir.

Les personnages sont animés d’une folie qui pourrait être meurtrière. Carlos s’enflamme, le pistolet à la main, prêt à les touiller tous, à les ossire, écorchant la langue française de son accent espagnol. Le potentiel créateur des incompréhensions est immense.Comme si cela ne suffisait pas de parler français Feydeau ajoute des répliques dans des langues étrangères et multiplie les défauts de prononciation jusqu’à la caricature. Camille campe dans ce registre un personnage étonnant dont le double jeu est un régal. Avec une stature évoquant l’entraîneur sportif Philippe Lucas. N’y voyez que pure coïncidence. Comme la ressemblance de Raymonde avec Madonna. Paul Golub s’est dit inspiré par Laurel et Hardy, les frères Marx, Charlot, Buster Keaton … Chacun ses références.

Le monde ne marche que par le malentendu disait Baudelaire.

Je t’ai vu de mes yeux ! hurle l’un
Qu’est-ce ce que çà prouve ? se défend l’autre avec une apparente parfaite mauvaise foi.

Rien effectivement, cela ne prouve rien. Parce que –et vous en jugerez par vous-même en allant voir la pièce- il ne faut pas se fier aux apparences. C’est à n’y rien comprendre. Mais ne comptez pas sur moi pour vous en expliquer mieux les tenants et les aboutissants.

Georges Feydeau est le spécialiste des quiproquos, imbroglios et coups de théâtre en rafale. C’est aussi un féroce qui prône la loi du talion. Œil pour œil, dent pour dent, a-t-il écrit dans le Dindon. Il a une revanche personnelle à prendre sur l’hypocrisie bourgeoise. Et cela se sent. Avoir été l’enfant illégitime de Napoléon III ou du duc de Mornay a probablement provoqué une douleur qu’il transcende dans l’écriture théâtrale. Pour le plus grand profit du spectateur qui à trop peu souvent l’occasion de rire dans sa vie quotidienne.

Si vous l'avez loupé ici, vous pouvez vous en vouloir (je vous l'avais annoncé le 3 mars, avec en prime une petite bande-annonce ...) mais vous pourrez toujours courir après la puce. La tournée s'annonce longue.

NB : les citations empruntées à Feydeau sont en rouge.

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