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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 31 octobre 2009

Fragments d'une femme perdue de Patrick Poivre d'Arvor

Avez-vous déjà expérimenté la chose ? Vous arrivez à un rendez-vous quelques secondes après l’heure convenue et l’on vous boude. Quoi ! Vous avez déployé des efforts insensés pour limiter la faute et rien ne vous est pardonné !

A l’inverse, si vous décidez d’assumer tranquillement la situation sans vous presser, l’entourage s’estime au contraire bienheureux de vous accueillir malgré-ou à cause- d’un retard conséquent. Comme le disait Talleyrand : autant ne pas faire les choses à moitié.

Nous étions nombreux à attendre, et depuis longtemps, Patrick Poivre d'Arvor sous la tente surchauffée où Sarah Polacci menait avec brio et mesure des interviews pour France Bleu Sud Lorraine durant toute la manifestation du Livre sur la Place qui a fait vibrer la ville de Nancy à la mi-septembre.

Il a fendu la foule sans hâter l’allure, avec la belle assurance de celui qui ne doute pas qu’on l’accueillera sans lui demander de se justifier. Ses talents de séducteur impénitent lui ont tout de suite conféré l’avantage : c’est difficile de traverser cette si belle place Stanislas pour venir jusqu’à vous … Quelques mètres seulement, que j’aurais pu franchir plus vite un autre jour. Mais voilà c’est mon anniversaire et je ne sais pas refuser un mot, un autographe … On m’a beaucoup arrêté …

Son âge, il le livre sous forme d’énigme : j’atteins un changement de numéro (comprenez 60). Le regard océan balaie la salle. L’écrivain se pose sur le divan blanc et se tourne vers la journaliste. Il assume l’image de romantique qui lui colle à la peau : écrire est une façon de rendre la vie plus belle et de la faire sortir de ses limites.

Elle a lu attentivement Fragments d'une femme perdue et tente d’obtenir le nom de celle(s) qui a inspiré l’auteur qui esquive en la renvoyant au texte : on se dévoile davantage dans un roman qu’ailleurs. J’en ai moins dit dans mes Confessions (publiées en 2005).

Patrick Poivre d'Arvor est un renvoyeur de balles expérimenté, se coulant avec délice dans le costume de l’interviewé, lâchant quelques bribes de sa personnalité (il vaut mieux éviter les femmes fatales mais on ne peut pas résister), de ses humeurs (un homme et une femme sont-ils faits pour rester ensemble ?) de son mode de vie (j’écris à l’encre violette. J’ai de gros problèmes pour dormir à peine quelques heures chaque nuit ; mon cerveau est une lessiveuse qui remue plein de choses ; le travail d’écriture est très fécond entre minuit et quatre heures du matin mais pompant).

Il se reconnait mélancolique, traversé par cet état slave passant de l’exaltation à la dépression qu’il ne faut jamais montrer quand on fait un métier public.

Son charme est tout entier contenu dans son inclinaison à se livrer en effleurant l’impudeur sans y sombrer, comme la balle de tennis qui retombe hors d’atteinte sans néanmoins franchir la ligne, permettant à chaque frappe de capitaliser des points nouveaux.

Sarah le relance sur le caprice. Mais c’est assez beau le caprice ; cela évoque la chair ; le cabri qui fait un pas en avant, un de côté ; les caprices ont beaucoup de charmes et s’accordent des humeurs changeantes du temps.

Cherchant à résumer le livre elle suggère que c’est le portrait d’un couple qui se serait trop aimé jusqu’à se déchirer. L’écrivain précise que le roman n’est pas qu’un portrait de femme mais aussi celui « en creux » de l’homme qui l’aime. Cette femme, qu’il appelle Violette, est comme éclairée par autant de projecteurs qu’il y a de protagonistes dans l’histoire, y compris elle-même qui intervient pour se défendre. Elle apparait alternativement sous diverses lumières rasantes, mystérieuse, menteuse, fatale.

Le prénom a été choisi en référence à la couleur de l’encre, à cette fleur très belle, qui meurt assez vite et dont le parfum anesthésie le sens olfactif de qui la respire, enfin aussi à cette femme dévoyée de la Traviata, opéra de Verdi.

Violette rêve d’écrire, activité « naturelle » pour Patrick Poivre d'Arvor qui estime que c’est capital, même si on n’est pas publié, comme il est tout autant vital de lire, à l’époque de l’écran total.

Les références littéraires émaillent le roman : Henry Miller, Virginia Woolf (dont la vie est terriblement émouvante et dont il juge les livres désespérés et sublimissimes), Robert Desnos (décidément Patrick Poivre d'Arvor ne peut s’empêcher de reproduire encore une fois la lettre à Yuki qui figurait déjà dans J’ai tant rêvé de toi), Pierre Louÿs avec la Femme et le pantin, jusqu’à Hergé avec la bague ressemblant à un scarabée doré qu’il offre à son amoureuse, sans oublier les Liaisons dangereuses qui demeurent l’étalon en terme de passion.

Quand les écrivains déploient en général des trésors d’imagination pour ménager le suspense et brouiller les pistes autobiographiques Patrick Poivre d'Arvor fait tout le contraire. Certes ce ne sont que des fragments qu’il nous livre mais quels morceaux !

Il lâche (p.47) qu’Alexis souffre du syndrome de l’institutrice qui fait encore craquer bien des garçons. C’est le titre d’un livre de Claire Chazal, qui fut sa compagne et qui est la mère de son fils. Il emploie le « je » pour faire dire au héros (p.76) : je sortais d’une histoire sentimentale assez éprouvante, suivie d’une autre plutôt boiteuse, je ne marchais donc pas très droit (…) un peu cabossé, sur la réserve mais déjà disponible.

Quelques pages plus loin ne se moque-t-il pas de son propre physique, en décrivant un look de séducteur soigneusement entretenu au demeurant : un tombeur, dont le physique n’est pas si avantageux que çà (…) Brillant, hypersensible au point de franchir parfois les bornes de la sensiblerie, attachant, généreux de sa personne et de ses actes, mais aussi économe de ses moyens, orgueilleux, fier, capable d’élans magnifiques autant que suicidaires, détestant l’idée de vieillir.

Quoi de plus naturel que le lieu où il fait rencontrer les protagonistes : Roland Garros, dont on sait qu’il est un fervent spectateur. Et où il se rend avec son fils dans le roman comme dans la vraie vie. On déjeune dans le roman chez l’Ami Louis, ou chez Marius et Jeannette, à la Méditerranée (dont il nous donne même l’adresse place de l’Odéon, quelle publicité !).

Bien entendu Alexis ne se prive pas de rouler à vive allure sur son scooter (p. 192) et monte les marches du Festival de Cannes à côté de son amoureuse comme il est arrivé à Patrick Poivre d'Arvor de le faire avec une femme brune aux longs cheveux, assez ressemblante à celle sont la photographie est morcelée sur la couverture du livre. Mais vous me direz que tout cela n’est que pure coïncidence. Comme le fait que Violette s’attelle à une nouvelle sur Diane Arbus, dont Violaine Binet a écrit récemment une biographie. Car il est certain que ce n’est pas cette femme qui a inspiré l’écrivain mais une autre qui promet de se venger en publiant un autre livre en réponse.

Retenons-nous de verser dans le pipolisme. Patrick Poivre d'Arvor nous offre en cette rentrée un roman palpitant, où les téléphones et les SMS sont des accélérateurs d’adrénaline. Le premier : ai-je l’air disponible ? résume assez bien l’état d’esprit qu’il semblait incarner à Nancy.

Il affirme malicieusement que la Lorraine est propice aux belles rencontres, que les gens y aiment profondément les livres et que Nancy n’est pas une ville désinvolte. Il nous quitte en souriant une dernière fois : je suis bien ici (il regarde sa montre) à 15 heures 33. Nous aussi.

Livres de Patrick Poivre d’Arvor : Fragments d’une femme perdue, publiée chez Grasset en août 2009.
J’ai tant rêvé de toi, co-écrit avec son frère Olivier, publié chez Albin Michel en août 2007
Confessions, chez Fayard, en août 2005

Toutes les phrases en italiques sont soit extraites de son dernier livre, soit la retranscription exacte de ses propos entendus à Nancy le dimanche 20 septembre 2009.

vendredi 30 octobre 2009

Préférez-vous les noix salées ou sucrées ?

Version salée je vous propose des muffins au gorgonzola ; version sucrée un pain viennois.

La réalisation des muffins s'effectue toujours en deux temps trois mouvements.

Premier mouvement: on mélange 250 grammes de farine avec un sachet de levure, une cuillerée à café de sel et un peu de poivre ;
Deuxième mouvement : on fouette deux œufs avec 20 cl de lait, deux cuillerées à soupe d'huile de noix et 100 grammes de beurre fondu préalablement à la casserole ;
Troisième mouvement : on mélange 125 grammes de noix brisées en 2 avec 100 grammes de gruyère râpé et 150 de gorgonzola écrasé à la fourchette ;

Premier temps : on réunit les trois mélanges sans trop travailler la pâte. C'est là le secret de muffins qui gonfleront ;
Second temps : on met à cuire dans des moules adéquats (cette fois j'ai serré des caissettes en papier dans deux grandes tourtières) à four préchauffé 200° pour vingt minutes, surtout pas plus.

Passons maintenant à la version sucrée. Il me restait une demi-livre de la fameuse farine du Petit diable rouge du moulin de Nomexy, celle là même qui fait fureur aux USA sur Broadway.

J'ai mis dans la machine à pain, et dans l'ordre :
200 ml de lait
4 cuillerées à soupe de sucre
1 cuillerée à café de sel
100 grammes de beurre
500 grammes de farine spéciale pain brioché
1 sachet de levure boulangère spéciale pains, programme pain normal
Puis au bip 60 grammes de cerneaux de noix.

Autres recettes de muffins : le 14 octobre : noix de pecan-bananes-chocolat (sans chocolat), le 28 octobre : pistaches-framboises

Autres recettes de pain le 3 avril (pain des écureuils gourmets et gourmands), 7 avril (banane, sirop d'érable et noix de pécan), 13 avril (garrimande, pain aux saveurs méditerranéennes), 15 avril (brioche),18 avril (pain de seigle aux noix), 20 avril (pain châtaigne et graines de lin), 22 avril (brioche du Diable rouge au chocolat blanc), 7 mai (pain au curry et graines de lin), 9 mai (pain au cumin et à l'oignon), 21 mai (pain à l'anis vert et au miel), 9 juin (pain à la feta et au basilic), 29 juillet (pain à la moutarde et au miel), 31 juillet (pain cévenol au cacao).
Présentation de l'appareil le 7 avril.
Article complet sur le moulin de Nomexy et ses farines le 12 avril 2009.

jeudi 29 octobre 2009

Bretagne en autochromes au Musée Albert Kahn

Depuis le 20 octobre et jusqu'au 4 juillet 1910 on peut se livrer à un tourisme historique fort émouvant en visitant l'exposition que le Musée Albert Kahn de Boulogne-Billancourt (92) consacre cette année à la Bretagne.

Albert Kahn était banquier et idéaliste. Convaincu que la connaissance des cultures encourage le respect mutuel entre les peuples il a eu l'idée de créer une mémoire iconographique du monde. Entreprise insensée pour l'époque, il a envoyé, de 1909 à 1931, des équipes dans une soixantaine de pays pour réaliser des campagnes de prises de vues. Comme quoi Google earth n'a rien inventé ...

Sans le krach boursier de 1929 il aurait fait plus encore. Mais ce sont tout de même 72 000 plaques autochromes -premier fonds au monde- dont nous disposons grâce à lui, sous l'appellation d'Archives de la Planète. Ces petites plaques de verre de 9 x 12 cm sont conservées à Boulogne avec le soutien du Conseil général des Hauts-de-Seine dans un joli musée, serti dans des jardins extraordinaires, mais ce n'est pas le propos du billet d'aujourd'hui.

La société Lumière commercialise à partir de juin 1907 le premier procédé industriel de photographie couleur sous le nom de plaque autochrome. Imaginez la révolution que va représenter la possibilité de conserver des clichés de la réalité, même s'ils peuvent être assimilés à des œuvres d'art ! Car jusque là les seuls témoignages du passé qui étaient transmis en couleur étaient des peintures ou des gravures.

Ce qui est troublant c'est que le regard du photographe sur les paysages et les habitants est proche de celui d'un anthropologue. Nous ne sommes pas habitués à cela pour ce qui concerne nos proches ancêtres. Et c'est un voyage à travers notre propre temps auquel cette exposition nous invite.

Les groupes d'enfants, filles bien séparées des garçons ; les femmes en costume d'apparat, posant de face, puis de dos ; les maisons traditionnelles avec au premier plan les tas de bois et en arrière-plan d'autres demeures préfigurant les nouvelles normes d'habitat ; les bords de mer qui ne sont pas encore des plages ; les cuirassiers côtoyant les bateaux de pêche ; les pèlerinages ; le recueillement dans les églises ... autant de tranches de vie saisies sur le vif, épinglées comme d'éphémères papillons. Parce que tout ce monde et le mode de vie correspondant ont disparu ... ainsi que le pressentait le visionnaire Albert Kahn. Et puis aussi les premières affiches publicitaires pour les compagnies de chemin de fer, faisant fi de la réalité pour exalter le rêve.

La qualité des couleurs est absolument fantastique. Difficile de croire que les clichés ont près d'un siècle. Bien entendu je n'ai retouché aucune des photos que j'ai prises dans l'exposition. Je vous les livre telles que vous pourrez les voir sur place. J'aurais pu en prendre davantage mais je ne cherchais qu'à vous inciter à juger sur place. Si quelques photos de groupe sont légèrement floues c'est parce que le temps de pose était de plusieurs secondes, ce qui était difficile à supporter dans l'immobilité pour certains sujets. Mais c'est une raison supplémentaire de leur trouver du charme.

Prise par Georges Chevalier le 9 août 1920 : un groupe de petites filles à Lannion (Cotes d'Armor)

Prise par Georges Chevalier le 9 mars 1920 : une Bretonne lavant son linge sur les bords de l'Odet, à Quimper (Finistère)
Prise par Georges Chevalier le 23 avril 1924 : Madame Caudal en costume d'Auray, vue de dos, à Port Navalo (Morbihan)
Prise par Georges Chevalier le 6 avril 1920 : le départ pour la pêche de M. Masson fils avec son équipe de marins pêcheurs, à Roscoff (Finistère). Les filets font corps avec les hommes. L'équipage est nombreux, preuve que la main d'œuvre abonde. On remarquera que le groupe embarque sur une annexe pour aller rejoindre le bateau de pêche. Le jeune garçon (troisième à partir de la droite) porte un vêtement de travail moderne. La vareuse vient d'être inventée spécialement pour les pêcheurs, sans aucun bouton où s'accrocherait malencontreusement un filet (il est si lourd quand on le remonte plein de poissons qu'il pourrait faire basculer un homme à la mer), à enfiler par la tête.
Prise par Roger Dumas entre le 14 et le 21 juillet 1929 : le reposoir de St Telo à la Grande Troménie, à Locroman (Finistère). Un assemblage de végétaux christianisés dédiés au Saint côtoie statuette et reliquaire posés sur la table. Le religieux est en accord avec le civil dont la clochette rappellera aux pèlerins de donner de l'argent. La Grande Troménie avait lieu tous les six ans et elle était constituée d'une dizaine de reposoirs.

Le Musée comporte aussi une salle de recherche qui a le nom prometteur de FAKIR. Tout y est classé par pays. On peut y voir des clichés exotiques comme des vues parisiennes :
Prise par Stéphane Passet en 1914 : la Porte Saint-Denis à Paris
Prise par Georges Chevalier en 1926 : l'entrée de la Médina par la porte Bou Jloud à Fès (Maroc)

Musée et Jardins Albert Kahn - 10/14 rue du Port - 92100 Boulogne-Billancourt Tel : 01 55 19 28 00 http://www.albert-kahn.fr jusqu'au 4 juillet 2010

mercredi 28 octobre 2009

Muffins pistaches - framboises et littérature turque

Je vous ai initiés à la technique du deux temps trois mouvements mercredi en quinze. Je vous propose de récidiver en variant les adjuvants du troisième mouvement. Cette fois des pistaches ramenées spécialement d'Istambul et de la gelée de framboises.

Premier mouvement : on mélange 250 grammes de farine avec un sachet de levure et 125 grammes de sucre (mais 100 suffiront)
Deuxième mouvement : on fouette deux œufs avec 20 cl de lait et 125 grammes de beurre salé fondu préalablement à la casserole.
Troisième mouvement : on mélange 100 grammes de pistaches moulues. On ajoute alors la gelée de framboises sans trop mélanger pour conserver des "poches" de gelée qui couleront au moment de les manger.

Premier temps : on réunit les trois mélanges sans trop travailler la pâte. C'est là le secret de muffins qui gonfleront.

Second temps : on met à cuire dans des moules adéquats (soit une caissette en papier glissée dans un moule à muffin, soit comme moi dans des moules à cannelés en silicone) à four préchauffé 200° pour vingt minutes, surtout pas plus.

Quant à la dégustation, on peut imaginer de l'accompagner d'un café libanais pour rester en Orient. Eau bouillante et eau de fleur d'oranger. Il n'y a pas plus reposant pour le cœur.

Et puis en profiter pour ouvrir le livre d'une auteure marquée par ses origines stambouliotes (du nom des habitants d'Istambul) quoique née à Strasbourg, Elif Shafak, qui se partage désormais entre Istambul et Tucson (Arizona) et qui écrit aussi bien en turc qu'en anglais.

Son dernier livre, Lait noir, aux éditions Phébus, concourt dans la catégorie Document du Prix Littéraire des lectrices de ELLE. Il fera l'ojet d'une chronique ultérieurement.

Elif Shafak explore les fondements de l'amour maternel tandis que Akli Tadjer, Prix de la révélation littéraire l'an dernier, traite de l'amour paternel. Je le pensais turc lui aussi, ce qui m'avait incité à le comparer à Elif Shafak mais il est algérien ; c'est tout de même un peu l'Orient.

Son livre parodie les contes des mille et une nuits pour aborder avec beaucoup d'humour et de dérision la question de la tolérance (à l'égard de l'immigré, de l'étranger, de l'homosexuel, de la femme) dans tous les milieux : familial, social, professionnel. Il n'élude pas non plus le difficile sujet de la guerre d'Algérie, de la torture et du fanatisme religieux qui séduit les jeunes femmes en les poussant à la conversion.

Nous sommes près de partager son analyse sur les principes moraux auxquels il faut tenir ou déroger selon les circonstances. Nous sommes nombreux à avoir en effet des principes à géométrie variable.

Il nous révèle aussi les secrets de la partition pyrotechnique d'un feu d'artifices. Il était une fois, peut-être pas est un beau livre, une belle écriture, une histoire forte.

Lait noir d'Elif Shafak, éditions Phébus, août 2009
Il était une fois, peut-être pas d'Akli Tadjer, Jean-Claude Lattès, août 2008

mardi 27 octobre 2009

Cette photo provoque l'étonnement


Elle pourrait illustrer une énigme : qui est cette femme ; où et quand la photo a-t-elle été prise ?
J'ai eu envie de ménager un petit temps de réflexion avant de livrer les réponses, assorties d'autres photos tout aussi belles.

lundi 26 octobre 2009

Une Gourmandise de Muriel Barbery et ma recette de riz au lait mode Tonka

On a grand intérêt à s’écarter des feux médiatiques de la rentrée littéraire 2009 pour revenir explorer les cuvées précédentes. Ce tourisme est difficile à faire en librairie. Heureusement les bibliothèques sont là pour çà ; c’est même leur vocation première.

Remontons jusqu’en 2000 et arrêtons nous sur Une Gourmandise. Ce premier roman de Muriel Barbery contient les ingrédients qui ont fait le succès du second ; chaque chapitre constitue en quelque sorte un hors d’œuvre au suivant. Avec un sens de la formule qui confine au sublime, un vocabulaire d'une précision insensée, des chapitres assez courts charpentés par d'interminables phrases qui se comprennent parfaitement.

La concierge s'appelle (déjà) Renée. Françoise Hardy chante Mon amie la rose. Dante, Proust et Tolstoï (déjà) traversent l'ouvrage sans faire de bruit. La carte de Pierre Gagnaire réunit des huitres (Gillardeau bien sûr) et des madeleines aux fèves Tonka. Nous sommes en 1988 et cet épice n'est alors employé que par un microscosme d'initiés. Il est vrai que le Festin de Babette n'est sorti sur les écrans que l'année d'avant.

Sans être un livre de recettes on remarquera tout de même la préparation des crevettes à l'orientale. On basculera de charivari sensoriel en blandices intemporelles, après un détour par quelques attachement gastronomiques, qui précéderont les cascades olfactives d'un breuvage méphistophélique.

La ruse du dalmatien pour se régaler d'une buche de Noël m'a rappelé certains coups de langue appliqués avec délicatesse par la petite chienne de maman sur un diplomate (le gâteau bien sûr, lequel était arrivé sur la table complètement déshabillé de sa robe de crème à la vanille). Le gâteau, sorte de variation locale du tiramisu, était appelé "miasspateux" dans le jargon familial sans que je ne sache jamais l'origine de ce terme peu ragoutant.

Le livre est excellent mais c’est avec l’Elégance du hérisson que l'auteure connaitra la notoriété et la bonne fortune. Elle est depuis un an au Pays du Soleil levant avec son mari dont on sait dans les milieux littéraires combien il été le génial inspirateur de sa talentueuse plume.

Écrit-elle encore sous son influence ? Exerce-t-elle son palais à la dégustation de délicats sashimis ? Muriel Barbery demeure une surprise.

Comme l’est la révélation gustative que le personnage principal du livre, critique gastronomique de son état, veut éprouver une dernière fois avant de quitter notre monde.

Il est en quête d’une saveur qui lui trotte dans le cœur, une saveur d’enfance ou d’adolescence, un mets originel et merveilleux dont il pressent qu’il vaut bien plus que tous ses festins de gourmet accompli. Alors il se souvient. Silencieusement, parfois frénétiquement, il vogue au gré des méandres de sa mémoire gustative, il plonge dans les cocottes de son enfance, il en arpente les plages et les potagers, entre campagne et parfums, odeurs et saveurs, fragrances, fumets, gibiers, viandes, poissons et premiers alcools… Il se souvient – et il ne trouve pas. Pas encore.

Chaque chapitre est l’occasion d’un hymne à d’heureuses saveurs. Celui qui fait l'apologie de la tomate est digne de figurer dans une anthologie culinaire. Comme dans les contes, le sublime n’est jamais atteint … sauf à la toute fin de l’histoire, par un mets sur lequel nous n’aurions pas parié un sou.

On a tous en nous quelque chose de Proust. Muriel Barbery ne semble pas le suivre dans sa célébration de la petite madeleine qu'elle décrit comme une bizarrerie pâtissière éparpillée par un sinistre et terne après-midi en débris spongieux dans, offense suprême, une cuillérée de tisane.

Personnellement je partage avec ma fille l’amour d’un plat tout simple auquel on ne songe que trop rarement, le riz au lait.
160 grammes de riz rond (fuyez le riz incollable qui vous ferait rater cette recette) et 100 grammes de sucre seront mis à cuire à feu doux dans un litre de lait, en remuant régulièrement au moins 45 minutes. C’est tout !

Selon l’envie du moment je peux ajouter quelques millimètres de fève Tonka râpée ou de la cannelle, de la muscade, ou encore du cacao.
Il nous arrive aussi de savourer ce dessert chaud avec une boule de glace à la vanille. Ou froid, avec un demi pot de crème dessert au caramel. Il s’offre à toutes les fantaisies.

Une Gourmandise de Muriel Barbery
Édité chez Gallimard en 2000, 145 pages -

dimanche 25 octobre 2009

L'année brouillard de Michelle Richmond dans le cadre du Prix des Lectrices de ELLE

J’avais interrogé Didier Decoin, au Livre sur la Place, à Nancy, sur ses critères de sélection : qu’est-ce qui fait selon vous un bon livre ? Il m’avait répondu avec simplicité : l’envie d’y revenir, puis l’empreinte qu’il laisse après qu’on l’ait refermé. Aucun doute que l’Année brouillard est de ceux-là.

Le résumé n’engage pas à la lecture. Mais je vous promets pourtant que si vous l’ouvrez vous ne le quitterez qu’avec regret. Plusieurs niveaux de lecture s’entrecroisent, apportant autant de motifs de satisfaction.

Résumé : Abby est photographe professionnelle. Bientôt elle épousera Jake qui est déjà papa d’une fillette de six ans, Emma. Ce matin, Abby et Emma se promènent sur la plage d’Ocean Beach noyée dans le brouillard d’un mois de juillet cherchant des coquillages. Abby détourne un instant le regard pour photographier un bébé phoque. Lorsqu’elle relève les yeux, la petite fille a disparu … L’année brouillard est l’histoire haletante de la recherche d’Emma par la police d’abord, puis par Jake et Abby ensemble, et enfin par Abby seule, alors que son père abattu et découragé a perdu tout espoir. Obsédée par le souvenir du moindre détail, du moindre événement, du moindre personnage présent ce jour funeste sur la plage, Abby poursuit l’enquête à sa façon. Hantée par la culpabilité et accusée en silence par son fiancé, elle ne veut pas renoncer et est prête à tout pour retrouver Emma et ses ravisseurs. Mais la petite fille n’aurait-elle pas été emportée par une vague ?

L’est là, l’est pas là … La ritournelle résonne comme la comptine créole : le lou le la, lé pa la, qui s’achève par des guilli-guilli qui font rire les enfants. Mais Emma a réellement disparu.

Comme l’auteur, on voudrait suspendre le temps, appuyer sur la touche « retour arrière » du magnétoscope de la vie, pointer l’erreur, faire son mea culpa, jurer qu’on a compris la leçon et promettre qu’on ne recommencera pas, mais qu’on nous la rende cette enfant !

On est embarqué à fond dans l’histoire en se disant qu’on sait bien que cela n’arrive pas qu’aux autres et que nous-mêmes aurions pu ou pourraient être confrontés au même vide.

Aimer un homme est une chose, mais aimer un enfant est complètement différent ; c’est un sentiment dévorant. C’est pourquoi il n’y a rien de pire que la perte d’un enfant … je l’ai toujours su … Et curieusement, je n’ai pas versé une larme. C’est qu’il n’y a rien d’hystérique dans le parcours qui nous est retracé. Quand il n’y a plus d’espoir Abby dénoue le fil des évènements et explore une nouvelle voie comme si elle s’était perdue dans un labyrinthe. Prendre conscience de la possibilité d’une recherche revient à être sur une piste. Et ne pas être sur une piste, c’est être désespérée.

Une de ses voisines, bibliothécaire, pousse devant elle un plat appétissant assorti d’une pile de livres de réflexion et d’apports théoriques sur le fonctionnement de la mémoire et l’enquête est relancée comme le serait une psychanalyse sans cesse réalimentée par le souvenir d’un nouveau rêve.

Comparativement à quelques autres romans de cette rentrée littéraire dont on sent qu’ils ont été écrits en quelques nuits blanches on devine que celui-ci est l’aboutissement d’un immense travail. Le style est fluide, jamais donneur de leçons. Pourtant on apprend beaucoup. Sur les méthodes de travail de la police américaine, avec le recours au détecteur de mensonges, sur les motivations des ravisseurs, sur les probabilités, sur le fonctionnement de la mémoire et sur le travail de deuil, sur l’amour filial et maternel.

L’héroïne est photographe. Son regard est différemment exercé que le notre et on se surprend soi-même à envisager de regarder autrement. Elle travaille avec un Holga, un appareil qui cumule tous les défauts que l’on cherche à éviter : flou, mauvaise exposition, couleurs faussées. Avec le temps, cet appareil (conçu initialement par et pour des chinois fans de photographie) est devenu un mythe dans les cercles de photographes amateurs qui en exploitent les défauts pour créer un style personnel. L'exemple le plus classique est la surimpression : il suffit d'appuyer plusieurs fois sur le déclencheur sans avancer le film.

Jake s’est classé second au championnat national du Rubik’s Cube en 1984 alors que le premier a rétabli les couleurs en 12 minutes et 22 secondes. Jake connait la démarche patiente et systématique pour envisager une à une les 43 252 003 274 489 856 000 combinaisons possibles. Mais il admet la thèse de la police. Emma s’est noyée et il s’emploie désormais à oublier. En organisant une messe du souvenir plutôt surréaliste. Abby est agnostique et refuse de s’en remettre à une puissance divine même si elle respecte le renoncement du père.

Elle ne lâche pas. Elle n’est pas candidate à la résilience. On se dit qu’elle a peut-être tort. Après avoir estimé qu’elle avait un abysse de santé mentale on est près de croire qu’elle va perdre la raison. Nous somme tous un peu comme Faust, écrit Michelle Richmond, la question est de savoir si oui ou non nous parions sur le diable. Abby ne vend pas son âme mais elle se sépare tout de même d’une œuvre d’art parce qu’il lui faut de l’argent pour poursuivre les recherches et on la devine prête à vendre plus encore.

On poursuit la lecture parce que notre intérêt pour l’affaire ne faiblit pas un instant. On mesure avec elle ce qui compte quand on a perdu l’essentiel. Et on se raccroche nous aussi à quelques aphorismes. Chaque choix conduit à un autre choix. Comme Lars Gustaffson, dans la Mort d’un apiculteur, nous recommençons, nous n’abandonnons jamais.

Les recherches s’incrustent dans sa vie, comme si sa quête était devenue son destin. Tout problème a une solution, se répète-t-elle en boucle. Abby s’enfonce dans la solitude du chercheur. Mais elle fait aussi de belles rencontres et bénéficie du soutien sans faille de sa sœur et de quelques amis. Elle découvre, et nous aussi, l’art du surf, ses codes et ses valeurs. De fines descriptions de San Francisco m’ont furieusement donné l’envie d’y programmer des vacances, même si la dernière partie du livre m’encouragerait plutôt à préférer les plages du Costa-Rica.

Abby est une intuitive mais c’est également une pragmatique. Elle applique la formule du calcul de la superficie d’un cercle pour évaluer la surface qu’il va falloir fouiller pour espérer retrouver Emma. Tandis que le policier s’octroie une pause pour boire un café elle réalise que la zone de recherche s’est agrandie de 80 825 mètres carrés par gorgée avalée.

Quelle valeur accorder au temps : celui de Saint Augustin, de Newton ou d’Einstein … lequel affirmait que tout système inerte dans l’univers a son propre paramètre temporel, et que par conséquent il n’existe pas de temps absolu ? Dans ce cas Emma n’a peut-être pas disparu.

Une belle dimension philosophique imprègne le roman. Un souvenir n’est pas très différent d’une photographie aux expositions multiples. Et nous prenons des photos parce que nous savons que nous allons oublier (…) même les moments les plus heureux. L'étymologie nous le rappelle : c'est une façon d’écrire l’histoire d’une vie, avec la lumière.

Michelle Richmond est l’auteur d’un recueil de nouvelles et de trois romans dont seul L’année brouillard (le deuxième) est disponible en français. Native de Mobile dans l’Alabama et lauréate de plusieurs prix littéraires, elle vit aujourd’hui avec son mari et son fils à San Francisco.


L'année brouillard
de Michelle Richmond, traduit de l'anglais (USA) par Sophie Aslanidès, publié chez Buchet Chastel, 2009 - 512 pages

samedi 24 octobre 2009

Mettre les pendules à l'heure

Une de mes amies m'a alertée sur le changement d'heure. On a beau être habitué le doute est toujours présent. Je reprends son moyen mnémotechnique (merci Malika) :

Octobre se termine par RE donc on recule d'une heure.
Avril commence par AV donc on avance d'une heure.

Pour ma part je vis sans montre depuis belle lurette, ce qui me permet soit dit en passant d'être beaucoup moins en retard que du temps où j'en portais, ce qui a sans doute à voir avec le syndrome du lapin de Lewis Caroll. Par contre il m'est assez délicat de me reprogrammer. Il me faut bien une semaine, mais au moins cela se fait en douceur.

A titre de bonus je vous donne l'origine de la "lurette", un mot qui ne s'emploie que dans cette locution adverbiale : il y a belle lurette.

On disait autrefois " il y a belle heurette ", heurette étant un diminutif du mot "heure". Et puis à force de mal prononcer c'est devenu une belle lurette. L'association entre l'adjectif « belle » avec un diminutif de temps renforce d'ailleurs la durée, comme dans " un bon bout de temps ".

L'avantage c'est que cette nuit on "gagne" une heure, mais ce n'est pas Lavoisier qui me contredira : rien ne se créé, rien ne se perd. On redonnera cette heure en avril. Et puisque je suis partie dans les aphorismes j'en vous donne un en superbonus que mes amis entendent souvent lorsqu'il faut chercher un objet perdu en gardant l'espoir de le retrouver : rien ne se perd ... tout s'égare.

Merci à ceux qui m'ont adressé des messages de sympathie depuis quelques jours. Qu'ils soient rassurés : le sourire (égaré seulement) est revenu.

vendredi 23 octobre 2009

Premier concert exceptionnel de David Grimal à Châtenay-Malabry (92)

L'affluence était forte, à la hauteur de la réputation de ce soliste renommé, régulièrement invité par d'illustres orchestres. Il était hier seul en scène. Enfin, pas tout à fait, puisqu'il avait avec lui "son" Stradivarius, un instrument réalisé en 1710 et dont c'est peu dire que la sonorité est réellement exceptionnelle.

Beaucoup de spectateurs étaient spécialement venus pour l'entendre. Cela se remarquait à leur surprise au moment de l'entracte, lorsqu'ils traversaient la salle des machines du bâtiment. De son coté le public habituel découvrait que la scène de la Piscine pouvait accueillir un concert instrumental.

Natif de Châtenay, ancien élève de La Fontaine (Antony) David Grimal était manifestement heureux d'être là et de retrouver d'anciennes connaissances après le concert.

Le cheveu coupé court, le corps en mouvement perpétuel, l'homme répond en toute franchise à toutes les questions. Il n'hésite pas une seconde à sortir l'instrument de son étui pour le montrer à un jeune élève du conservatoire. Il conjugue à la fois une immense patience et une impétuosité qui laisse croire qu'il va s'échapper d'un instant à l'autre. Pas de doute que c'est un musicien qui incarne les contrastes.

A l'instar de ses choix musicaux : l'idée d'alterner chaque partita de Bach avec une création contemporaine de Brice Pauset est totalement réussie, même s'il a parfois encore quelques doutes, notamment sur la deuxième Kontrapartita. J'ai pris beaucoup de plaisir à savourer l'alternance qu'aucun applaudissement intempestif ne venait troubler (on nous les avait sagement interdits).

J'ai appris à lire ; je sais regarder, analyser les images, mais je crois que je n'ai pas appris à écouter. Je n'ai pas assez de connaissance pour mettre la musique en mots. Je peux par contre vous renvoyer sur le site de l'artiste, http://www.davidgrimal.com/, ou mieux vous convaincre de venir écouter la suite, cette fois sur la scène du théâtre Firmin Gémier d'Antony le mardi 6 avril prochain. David Grimal nous a promis que ce soir là il accordera le bis.

Théâtre Firmin Gémier-La Piscine – 254 av. de la Division Leclerc à Châtenay-Malabry,
Tél : 01 41 87 20 84
et Place Firmin Gémier à Antony, Téléphone : 01 49 84 11 94
www.theatrefirmingemier-lapiscine.fr

mercredi 14 octobre 2009

Muffins banane-chocolat-noix de pecan

Je ne vais pas m'appesantir sur les soucis qui minent mon énergie à écrire. Il vaut mieux appliquer la technique du pas japonais que je vantais le 9 août dernier et partager une petite douceur avec ceux qui m'aiment.
En voici donc une qui s'accorde avec l'annonce de l'automne.

La réalisation se fait en deux temps trois mouvements.

Premier mouvement: on mélange 250 grammes de farine avec un sachet de levure et 125 grammes de sucre (mais 100 suffiront)
Deuxième mouvement : on fouette deux œufs avec 20 cl de lait et 125 grammes de beurre salé fondu préalablement à la casserole.
Troisième mouvement : on mélange 100 grammes de noix de pécan brisées en 2 avec 3 bananes écrasées à la fourchette et 100 grammes de chocolat noir râpé.

Premier temps : on réunit les trois mélanges sans trop travailler la pâte. C'est là le secret de muffins qui gonfleront.
Second temps : on met à cuire dans des moules adéquats (soit une caissette en papier glissée dans un moule à muffin, soit comme moi dans des moules à cannelés en silicone) à four préchauffé 200° pour vingt minutes, surtout pas plus.

Cherchez l'erreur ... le stress m'a fait oublier le chocolat qui attend sagement tout râpé dans son saladier ! Mais c'est très bon sans, et suffisamment riche. C'est à se demander pourquoi la recette d'origine avait prévu cet ingrédient.

samedi 3 octobre 2009

Les heures souterraines de Delphine de Vigan

J'avais beaucoup apprécié No et moi (cf. billet de juin 2008) paru lui aussi chez J.C Lattès, et j'étais impatiente de lire le dernier livre de Delphine de Vigan. On parlait beaucoup d'elle à Nancy, dans les allées du Livre sur la place, s'interrogeant sur le taux de probabilité qu'elle avait d'obtenir le Goncourt avec les Heures souterraines.

La jeune femme était sincèrement heureuse du succès de l'ouvrage sans croire qu'il aurait un prix, en tout cas celui-là. Peu importent toutes ces conjectures, voilà un roman qui se lit aisément. La pensée est fluide et les mots coulent aisément. Je l’ai lu en quelques heures, nuitamment, sans reprendre mon souffle. Quelques phrases suffisent à faire passer les relations professionnelles entre Mathilde et son supérieur hiérarchique du beau fixe au tsunami. Cela sonne si vrai que je lisais le récit comme s’il était écrit à la première personne.

J’ai bien connu les sociétés de conseil en marketing et je sais d’expérience qu’ils sont souvent dirigés par des chefs paranoïaques et hystériques qui dissimulent leur soif de pouvoir derrière un talent possessif. Que leur poulain hennisse un peu trop fort et c’est l’abattoir. Il y a vingt ans on serrait les dents, on subissait ou on démissionnait. Parfois on avait la chance d’être « chassé » avant que l’irrémédiable ne se produise parce que les cabinets de recrutement étaient à l’affut des personnalités talentueuses.

En temps de crise les jeux de pouvoir se sont dramatisés. La femme intelligente, brillante, plutôt jolie, élevant seule ses enfants, est la proie idéale des maniaques. On a fini par mettre un nom sur ces pratiques : harcèlement moral. La psychiatre Marie-France Hirigoyen a démonté le processus il y a plus de dix ans déjà.

Face au pervers narcissique il n’y pas d’autre lutte possible que la fuite et l’abandon. Une fois visée, la proie ne pourra pas se démettre, sauf à avoir une chance insolente. Les collègues ne seront d’aucune aide. Pour ne pas risquer d’être les prochains sur la liste. Par lâcheté plus que par malveillance. Dans l’entreprise aujourd’hui c’est comme dans la mine hier : on se serre les coudes mais on est soulagé quand c’est devant la porte du voisin que l’ambulance s’arrête, se disant que Ouf, ce n’est pas encore pour soi.

Mathilde est forte. Très forte. Elle n’est pas responsable de ce qui lui arrive. C’est sa capacité à résister qui la désigne comme cible. Contrairement aux idées reçues, les victimes de harcèlement sont toujours des personnes compétentes, dynamiques faisant davantage envie que pitié. Elles ne sont pas dépressives. Ce ne sont pas elles qui nourrissent la tragique statistique : tous les 4 jours 1 personne se jette sous les rames d’un métro parisien.

Pourtant Mathilde s’enfonce chaque jour davantage. Les TOC apparaissent discrètement. Elle évite les gentils. Parce qu’ils sont dangereux. Ils menacent l’édifice, entamant la forteresse. Un mot de plus et elle se mettrait à pleurer. Quant aux amis, impossible de les solliciter. Ils penseraient qu’il n’y a pas de fumée sans feu et elle serait cataloguée « fille à problèmes qui ne va pas bien ».

Elle pourrait pourtant refaire surface. Il suffirait d’un encouragement placebo, comme la carte World of Warcraft, le Défenseur de l’Aube d’Argent, que son fils lui glisse dans la main pour exercer l’effet remarqué par le bon docteur Coué. (Il a basé sa théorie sur l’idée que s’il est facile de marcher sur une poutre posée sur le sol c’est donc qu’il est possible de le faire à quelques mètres d’altitude. Tout est dans la perception des choses). Mais l’ennemi triche, ose mentir pour assouvir sa tyrannie. Mathilde n’a même pas envie de pleurer. Elle ne peut que penser avoir glissé par mégarde dans une autre réalité. Elle a l’expertise de la désertion du territoire de la colère et de la haine. Elle est dans le tunnel et elle n’est pas prête d’en voir le bout. A moins que …

Thibault, lui, se voit chirurgien. Un accident de soirée mal arrosée il perd 2 doigts. Fin du rêve. Du coup il refuse un certain confort de vie et s’engage aux Urgences Médicales. Sa vie se partage désormais entre 60% de rhinopharyngite et 40% de solitude. Rien d’autre que çà : une vue imprenable sur l’ampleur du désastre. Il y apprend à reconnaitre l’isolement de ceux qui, parfois, meurent chez eux sans que personne ne s’en émeuve. Il pourrait rencontrer l’âme sœur. Mathilde par exemple. Au lieu de cela il ne peut se sortir de la tête cette Lila qui ne l‘aime pas. Suffirait d’avoir la force de la quitter.

Comme suffirait à Mathilde de tenter de se rebeller. La seule issue serait de tout abandonner et de recommencer à zéro, ailleurs. Mais elle se sent incapable d’une telle chirurgie professionnelle. Seuls les coupables s’enfuient. Les innocents s’imaginent toujours que cela va s’arranger. Plus la situation s’enkyste, plus elle travaille, estimant que c’est une mauvaise passe dont elle aura la force de triompher. Parce qu’elle a honte. Alors elle se tait et continue à encaisser.

Heureusement il y a Thibault. Enfin, peut-être. Ou alors il y aura vous et moi. Les Mathilde commencent à courir les rues et nous avons toutes les chances du monde de les croiser.

Subsiste juste une interrogation à propos du titre qui me semble puissant mais décalé. Je poserai la question directement à Delphine de Vigan. D'ici là vous pouvez réécouter cette interview qu'elle a faite il y a bientôt trois ans (et que j'avais déjà jointe à l'article de juin 2008) et qui me semble encore très actuelle . Elle y annonce que la force des livres est dans les courants souterrains qui les traversent.

A la fin du mois d'octobre "les Heures souterraines" figurait parmi les quatre finalistes pour le Prix Goncourt. La réponse est tombée le 2 novembre 2009 à 12 heures 45.

C'est Marie NDiaye qui obtint le Prix pour Trois femmes puissantes. Mais le choix polonais s'est porté sur Les heures souterraines. Ce Prix, créé en 1998 à l’initiative de l’Institut Français de Cracovie et en accord avec l’Académie Goncourt est décerné par un jury d’étudiants polonais en littérature et civilisation française. Il détermine le prix du meilleur roman français de l’année, choisi parmi la douzaine de romans sélectionnés pour son prix par l’Académie Goncourt, sous l’appellation : "Liste Goncourt : le choix polonais".

jeudi 1 octobre 2009

Partage de midi, version 1905

Comédie Française par ci, Comédie française par là, on annonçait un chef d'œuvre et l'assistance était plutôt "sélect" hier soir devant le théâtre Marigny qui reprenait la pièce avant qu'elle ne parte à l'assaut des scènes conventionnées.
J'étais heureuse de la découvrir sans attendre pour en rendre compte sur le blog. Seulement voilà, je ne suis pas autant enthousiaste que pour la Vie devant soi (cf billet du 29 septembre). Et manifestement, à entendre les toux répétées dans le parterre, je n'étais pas la seule à ne pas être aux anges.

Je vais essayer d'expliquer pourquoi ou du moins de faire quelques hypothèses.

Le texte qui a été choisi est la première écriture que Paul Claudel a publié en 1905. Ce n'est peut-être pas par hasard si cet homme intelligent l'a ensuite remanié pour en expurger l'accoutrement lyrique, selon ses propres termes. Force est de reconnaitre qu'il nous a été livré hier soir dans son entièreté emphatique digne des meilleures tragédies grecques.

Le décor est minimaliste, ce qui n'est pas un défaut en soi. Des cordes parviennent à symboliser le pont d'un bateau, encore qu'on ait du mal à le sentir vibrer sur la mer déchainée ... Mais que viennent faire des projecteurs dans la représentation du cimetière de l'acte II ? Etre ou ne pas être, demeure la question essentielle. Je n'y étais pas.

Serais-je insuffisamment cultivée ? Ou fatiguée peut-être ?

Comme il me serait confortable de me ranger à l'avis de Jacques Nerson écrivant dans le Nouvel observateur en mai dernier : le voilà, l'évènement théâtral majeur après lequel nous soupirions !

Je reconnais la performance des acteurs. Hervé Pierre donne chair à un Amalric sensuel et colonial. Christian Gonon est De Ciz, le mari voyageur. Eric Ruf interprète Mesa avec brio. Marina Hands incarne la fatale Izé, dévoreuse d'hommes toujours insatisfaite. La mise en scène d'Yves Beaunesne oscille entre le dépouillement et l'anecdotique. Voyant l'actrice sortir un petit gâteau de sa poche, le grignoter et dire que "rien ne l'empêche de manger" il me revient ces paroles d'une petite fille faisant la moue devant une assiette de légumes que je lui préparais : c'est bon ... mais j'en veux pas !

Tout est dit. A vous de vous faire votre propre opinion : la pièce sera jouée le vendredi 9 octobre à la Piscine.
Théâtre Firmin Gémier-La Piscine – 254 av. de la Division Leclerc à Châtenay-Malabry :01 41 87 20 84
Sur www.theatrefirmingemier-lapiscine.fr

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