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mercredi 23 février 2011

L'inattendu mis en scène par Brontis Jodorowsky aux Déchargeurs

Doublement inattendu parce que je n'aurais pas songé à aller voir le spectacle si on ne me l'avait pas recommandé et parce que c'était le soir de la dernière représentation. Autant dire que je n'ai pas tergiversé.
Le jeu de la comédienne est magnifique et il y a fort à parier que l'Inattendu sera programmé par de nombreux théâtres la saison prochaine.
Un sol recouvert de morceaux de carton, un matelas de fortune sur une palette peinte en bois, une table, une bassine, quelques bouteilles de verre coloré qui portent une note de fantaisie dans cet univers carcéral noyé dans une lumière blafarde. Sur la chaise, une veste d’un costume d’homme attend … qui ? Un coup résonne.

On ne l’a pas vue traverser le public. Elle s’est avancée pieds nus, robe longue comme une aube de communiante, yeux cernés, aimantés par la veste qu’elle prend délicatement pour la bercer en esquissant une danse. Elle la repose et dépose une peine intense.

Le texte est magnifiquement porté par Eleonor Agritt qui le joue à sa juste mesure. Elle intériorise la douleur de la disparition et la met à distance avec les moyens du bord, en parlant d’elle à la troisième personne, et puis aussi en s’anesthésiant avec l’alcool.

Liane n’y croit pas à la disparition de toi. (…) L’amour se prend des beignes. J’ai l’air d’un tigre en plus petit. Je pleure même pas. Je n’ai plus le cœur aussi propre et costaud qu’avant.

L’histoire nous est donnée par bribes. On comprend petit à petit comment les choses ont pu se passer. L’homme a disparu, ou plutôt n’est pas rentré, s’étant peut-être malencontreusement noyé, sauf que celui qu’on traitait de sale nègre a plutôt sûrement été pourchassé par des militants du Ku Klux Klan qui tirent des coups de feu toutes les nuits.

Liane revit la phase de déni. La première année qui a suivi la « disparition » elle repassait son linge tous les jours. Elle l’a cherché partout dans les bayous, jusqu’à ce que l’absence soit devenue si fatigante qu’elle a commencé à pencher. Elle ne manque pas d’humour pour nous faire partage sa détresse : même la tour de Pise on la restaure.

La comédienne ne regarde jamais le public. Elle monologue à voix haute, cherchant la vérité. Je ne suis pas folle ! Mon coyote t’es pas Arsène Lupin ! Son délire convoque les souvenirs. Elle le cherche. Elle avale un boomerang, n’arrêtant pas de sourire.
3 ans- 1 mois- 13 jours. Rien n’a bougé. Elle ne repasse plus ses fringues qu’une fois par mois. Elle attend qu’il revienne en embuscade … ou pas, concède-t-elle. L’avenir, à présent est devenu le malheur des autres. Afghanistan, Albanie, Somalie, Rwanda, Irak … elle ouvre les yeux. Le monde, elle le voit qui brûle.

Elle s’accroupit, continue à dévider le fil puis capitule : quand je parlerai de toi je dirai je me souviens, un jour, j’ai aimé, j’aime encore mais c’est plus la peine. Je dirai que tu es mort un soir que je m’y attendais pas.

Ses gestes évoquent ceux que l’on fait sur une tombe. La vie c’est ce qui nous arrive quand on fait autre chose … peut-être.

Le soir de ma venue l’osmose entre le texte et l’interprète était parfaite. Chaque mot sonnait juste. Aucun geste n’était de trop.

Il faut se souvenir de son nom, Eleonor Agritt, et c'était surprenant de constater combien elle pouvait naturellement être jeune et joyeuse aux saluts.

Il faut aussi se souvenir du nom de l'auteur, Fabrice Melquiot, qui a écrit un texte poétique sur un sujet grave sans s'interdire quelques formulations humoristiques.

Le théâtre des Déchargeurs est situé au numéro 3 de la rue du même nom, dans le 1er arrondissement. Sa programmation est extrêmement variée. Tel 01 42 36 00 02

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