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mardi 18 septembre 2012

Démocratie de Michael Frayn au Théâtre 14


Si les faits n’étaient pas rigoureusement exacts on se dirait que Michael Frayn a poussé le bouchon un peu loin. Que pendant quatre ans un espion à la solde de la République démocratique allemande ait réussi à infiltrer le pouvoir semble relever de la fiction. Comment a-t-il pu devenir si vite « un porte-manteau dans le coin de la pièce », entendez par là être l'assistant personnel du plus haut fonctionnaire de la République fédérale d’Allemagne, Willy Brandt en personne ... cela dépasse l'entendement.

Il est sans doute difficile pour la jeunesse actuelle de réaliser combien l’Allemagne a été meurtrie à la fin de la seconde guerre mondiale. Le territoire fut coupé en deux et placé sous surveillance des Alliés. En 1949 deux pays sont formalisés : la RFA, dite aussi Allemagne de l’Ouest et la RDA, connu sous le terme d’Allemagne de l’Est. La ville de Berlin, située en plein territoire Est allemand fut elle-même divisée. Et puis un mur a été construit en 1961 pour empêcher les passages vers l’Ouest, devenus trop nombreux. Ce mur est présent sur la scène, très reconnaissable au début avec des images projetées de graffitis et de peintures, plus discret mais toujours angoissant par la suite, enfermant quasiment les personnages qui sont sur scène tous les dix en permanence, donnant parfois l'impression d'un huis clos.

S’ensuivit une période qui fut désignée sous le nom de guerre froide tant les relations étaient tendues. Willy Brandt est le premier socialiste au pouvoir depuis quarante ans, après vingt ans de conservatisme. Il fut le premier chancelier à s’atteler, dès 1969, à réhabiliter son pays au sein de la communauté internationale et à œuvrer au rattachement avec la RDA.

Willy Brandt parvient à nous émouvoir quand il évoque son pays en ruines, rebâti avec les briques demeurées intactes après les bombardements, triées une par une par des hommes pétris de doutes et de peurs.
Le chef de l’Etat plaide pour une Allemagne d’amour et de justice. Un vœu qui parait alors totalement improbable, pendant que le monde entier voit un mur indestructible. Il me semble que le sujet a rarement été traité au théâtre. On ne s’ennuie pas une seconde et on apprécie d’y voir plus clair dans une période que l’on n’a pas étudiée dans les manuels scolaires et dont on a un point de vue encore marqué par les souffrances que nos familles ont enduré pendant les guerres. A ce titre le texte et la mise en scène sont d'une belle intensité.

Tous les personnages ont bel et bien existé, hormis Arno Kretschmann, admirablement interprété par François Sikivie. Il a été inventé pour représenter la RDA et les conversations qu’il a avec son "collègue", Günter Guillaume (Alain Eloy), s’apparentent parfois à un dialogue intérieur auquel l’espion se livrerait à voix haute. Les deux hommes éclairent les rouages de la machine politique qui conduit au succès ou à la chute, selon les alliances.
Willy Brandt est incarné par Jean-Pierre Bouvier. Ses forces comme ses faiblesses apparaissent au grand jour, en particulier son alcoolisme. Les difficultés économiques et sociales auxquelles il doit faire face sont multiple et il dégringole dans les sondages. La révélation de la présence de l’espion lui est fatale. Elle l’oblige à démissionner.

Quinze ans après le mur se fracture lui donnant raison quand il qualifiait son édification de pure stupidité. Le décor laisse alors apparaitre un ciel bleu, chargé d'une forte symbolique.

Démocratie est bien davantage qu’une pièce historique. Elle va au-delà en démontrant l’universalité de la machine politique qui, selon les alliances, pousse à la plus haute marche ou précipite dans la chute. Et souvenons-nous que l’Histoire se répète inlassablement.
Démocratie, de Michael Frayn
du 11 septembre au 21 octobre 2012, mardi, vendredi et samedi à 20 heures 30, mercredi et jeudi à 19 heures, et samedi à 16 heures
Théâtre 14, au 20 Avenue Marc Sangnier  75014 Paris
01 45 45 49 77

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