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samedi 20 octobre 2012

Gisèle Bienne et Brigitte Smadja n'aiment pas les maths

Brigitte Samdja supplie son père de l'oublier un peu. Gisèle Bienne décrit une planète maths cauchemardesque. Voici deux livres roses, illustrés par Sébastien Millet pour la collection Neuf de l'Ecole des loisirs, sur des sujets qui ne le sont pas mais qui s'accordent avec le ton du mois d'Octobre, dédié au dépistage, et que l'on peut lire pendant les vacances de Toussaint, à défaut de faire des devoirs, avant qu'ils ne soient effectivement interdits.

Le ben voilà embarrassé des parents annonce la catastrophe : ils s'aiment bien mais ils s'aiment plus. Il va falloir intégrer des propositions grammaticales modifiées : chez nous deviendra chez moi ou chez ta mère. Et se faire à un nouveau rythme, en subissant l'alternance d'un week-end sur deux qui ne laisse jamais de répit. Curieusement le père va consacrer plus de temps à sa fille et ce "plus" va vite devenir un "trop" insupportable. 

Brigitte Smadja nous avait habitué à découvrir le monde avec les yeux de Maxime. Mais c'est avec le regard d'une jeune fille qu'elle aborde la délicate question de l'éclatement de la cellule familiale. Naomi a la désagréable impression d'être devenue une case sur un agenda (page 91) condamnée à visiter des musées, des églises, des citadelles.

Malgré sa bonne volonté, elle craque, explosant qu'elle en a marre du Scrabble, des échecs, du crawl, des balades à vélo , (...), du zoo, des programmes, des emplois du temps (page 105). Elle a beau être fan de Matilda, le film culte que Dany de Vito a réalisé à partir de l'aventure écrite par Roald Dahl et être fille d'un père chercheur en mathématiques elle se sent un vilain petit mouton noir infichue de comprendre les nombres décimaux.

Ce qu'elle aime c'est chanter, que ce soit Amy Winehouse ou Georges Brassens et elle rêve que son père la laisse vivre sa vie. Il y a des jours où les paroles dépassent la pensée. Quand elle le supplie de l'oublier un peu imagine-t-elle qu'il va le faire pour de vrai ?

On se demande parfois qui est le plus adulte des deux. L'écriture de Brigitte Smadja sonne juste et son livre pourrait se partager en famille, en écoutant Tambourine man de Bob Dylan, histoire de mettre d'accord les générations. Naomi se moque gentiment de son père qui devrait apprendre à devenir plus autonome. Elle confesse de son coté qu'elle aimerait quand même qu'il lui explique comment faire pour diviser 3657 par 0,875.
J'avoue n'avoir pas compris la nature de ce problème et ce n'est pas vers Gisèle Bienne que je vais me tourner pour obtenir une réponse. Celle-ci revient sur son enfance en tentant d'exorciser la terreur que l'univers mathématiques lui a fait vivre au quotidien.

Petite fille excellant en poésie et littérature, elle ne parvenait pas à aligner les chiffres, imputant la faute au fait qu'elle fut une gauchère contrariée. Elle était (est) sans doute dyspraxique, un handicap aujourd'hui reconnu à l'école, même s'il est encore insuffisamment dépisté. On ne se moque plus des difficultés gestuelles de ces enfants reconnus "dys" et qui bénéficient d'un temps supplémentaire aux examens.

Gisèle décrit avec précision sa souffrance d'enfant, car il ne fait pas de doute que son ouvrage est autobiographique. Elle se cache derrière le personnage de Mathilde sans doute parce que le souvenir d'un zéro anodin pour le maitre mais capital pour elle pourrait encore lui mettre le feu aux joues rien que d'y penser : ce zéro, c'est un coup de poignard dans mes rêves. (...) Un tremblement de terre. Jamais ça ne passera (page 95).

Donc Mathilde est lente. Elle se fatigue plus que les autres, est mal organisée avec des conséquences dans les notions de temps et d'espace, alors qu'elle est très intelligente. A 9 ans et demi elle compte toujours sur ses doigts, en les cachant sus la table, se sentant en maths comme une sorte d'analphabète, elle qui a su lire sans apprendre. On comprend qu'elle rêve d'être un animal à l'aise sur ses quatre pattes sans que l'une d'elles prenne l'ascendant sur l'autre.

Au lieu de cela la petite fille se sent prisonnière d'un labyrinthe, d'une forteresse ou d'un cachot. Pourtant elle s'applique. Elle aura beau élaborer des stratégies pour conjurer le sort, comme porter des vêtements bleus, toucher du bois, le pire sera atteint avec ce zéro pointé à l'encre rouge qui lui infligera la honte de sa vie, qui lui donnerait envie de mourir. Son récit est une occasion de mieux comprendre en quoi l'école peut devenir synonyme de violence pour un enfant quand la bonne volonté ne lui est d'aucun secours.

Fort heureusement pour Gisèle, alias Mathilde, l'auberge des mots sera plus hospitalière que celle des maths, avec de grandes fenêtres qui laissent passer la lumière et un beau grenier rempli de livres (page 88).

Brigitte Smadja, Oublie-moi un peu, papa ! collection Neuf, Ecole des loisirs, août 2012
Gisèle Bienne, La planète maths, collection Neuf, Ecole des loisirs, septembre 2012

Autres ouvrages du même auteur chroniqués sur le blog :
On n'est pas des oiseaux, Gisèle Bienne, collection médium de l'École des loisirs 2011
La vie cachée des poupées de Gisèle Bienne, collection Médium de l'Ecole des loisirs, mars 2012
Site internet : www.giselebienne.com

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