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dimanche 15 décembre 2013

Visite de la cave de Castellane à Epernay

Vous commencez à le savoir : je passe le week-end en Champagne et il n'est pas envisageable de ne pas visiter au moins une cave. En fait ce sera deux, avec Mercier dont je vous parlerai ultérieurement.

Je vous avais fait part de ma surprise en découvrant la tour de la maison De Castellane, au bout de cette fabuleuse Avenue de Champagne, au numéro 63, que j'ai aperçue vendredi soir illuminée dans le cadre de la manifestation Habits de lumière.

En plein jour la ressemblance avec la tour parisienne de la gare de Lyon est encore plus frappante. Normal puisqu'ils ont eu le même architecte, Marius Toudoire. Et encore plus logique puisque c'est aussi une gare en quelque sorte.

C'est en 1895 que le Vicomte Florens De Castellane construit sa Maison de champagne à Epernay. 

Elle dispose de 9 kilomètres de caves et de bâtiments surmontés de cette tour, haute de 66 mètres, qui font désormais partie du patrimoine historique.

On raconte, mais je ne l'ai pas expérimenté, que la Tour De Castellane offre, après avoir gravi ses 237 marches, un panorama exceptionnel sur Epernay et sur les vignes de la vallée de la Marne.

Composé d’un harmonieux équilibre de briques rouges, de balustres en pierres de taille, de sculptures et décorations en émail, l’ensemble des bâtiments constituent une œuvre caractéristique de son époque, d'allure presque baroque aujourd'hui.
Ce n'est pas un hasard si la tour évoque la gare parisienne car, et c'était essentiel à sa construction, les celliers sont directement raccordés au réseau SNCF par lequel les vins sont expédiés vers les grandes métropoles dont les noms sont sculptés en gravures d’émail sur le fronton des immeubles : Bruxelles, Londres, Paris, New-York, Barcelone, Alexandrie ...

Il est possible que la visite que j'ai faite fut spéciale, puisque inscrite dans le cadre des habits de lumière. Vous trouverez tous les renseignements utiles pour préparer la vôtre sur le site de la maison.

En tout cas les caves d'Epernay n'ont rien à voir avec ce que l'on connait par ailleurs. C'est même un choc comparativement aux chais de calvados que j'ai visités cet été.

Elles se trouvent de part et d'autre de l'Avenue de Champagne. Contrairement à d'autres régions qui ont investi des caves existantes comme on l'a fait à Reims dans des crayères gallo-romaines désaffectées, l'homme a ici creusé  un total de 110 kilomètres de galeries sous-terraines, contre 130 de voirie, ... histoire d'avoir un point de comparaison. Elles ne sont donc pas "très" anciennes. Moët fut le premier à oser creuser dans un immense terrain vague crayeux en 1743. Ce sont d'ailleurs les plus grandes avec presque une trentaine de kilomètres de galeries.

Pour De Castellane il fallut attendre un siècle de plus. Installée de l'autre coté de l'Avenue, en contrebas, la maison avait l'énorme avantage de bénéficier du chemin de fer mais la proximité de la Marne rendait les percements difficiles. Ce fut le même contexte pour Mercier dont les quais étaient de plain pied avec l'Orient Express.

Situées sous 10 à 30 mètres de sol calcaire, elles s'étendent sur 18 km chez Mercier, 28 chez Moët ... et seulement 6 km chez De Castellane. Cela semble peu. Et pourtant tout m'a semblé démesuré chez eux. Peut-être parce que j'ai commencé par là.
La salle d'accueil est à la proportion des groupes de visiteurs qui doivent y transiter. Dans le fond un limonaire semble minuscule alors qu'il est immense.

La visite s'effectue à pieds (en train chez Mercier). C'est l'occasion d'apprendre le processus de fabrication du célèbre breuvage. De comprendre les anciens modes de conservation ... jusqu'aux plus actuels. Le plus surprenant pour le néophyte c'est que tout se joue dans la bouteille (et non dans le tonneau). Or rien ne ressemble plus à une bouteille qu'une autre bouteille. Il n'y a aucun parfum résiduel dans l'air. Ce n'est pas dans une cave à champagne qu'on humera la part des anges !
On verra d'immenses affiches témoignant de l'accord entre champagne, art et culture. Les plus grandes marques (Vuitton ci-dessus) se sont approprié ce vin. On traversera d'immenses salles. On découvrira  les secrets de l'assemblage des cépages, de la double fermentation alcoolique (la seconde a lieu à l'intérieur des bouteilles), les cuveries en inox (où sont désormais stockés 80% du vin), les cuves plus anciennes de ciment-céramique, l'atelier de tirage et de dégorgement, l'embouteillage, les espaces de remuage sous pupitre et en gyropalette, les espaces de stockage en palette, en tas et sur pointe.
Mais surtout on sera surpris par les enfilades de couloirs et les empilages de bouteilles ... et par le taux d'humidité qui est de 85%.

Ici les bouteilles vieillissent au minimum trois ans sur lattes, et non pas 15 mois comme la réglementation l'impose. On ne parlera de millésime qu'après au moins 6-7 ans. Les bouteilles les plus anciennes sont de 1915, conservées dans l'oenothèque, derrières des portes cadenassées.
Chez de castellane les galeries s'appellent des avenues et portent le nom de personnes. On peut encore y voir des objets anciens comme ce ratelier. Et comprendre pourquoi on en est venu à inventer la bouteille  en verre coulée à fond creux ... après avoir subi les explosions des bouteilles à fond plat sous la pression de 6 barres.
Tout ce qui nous parait "normal" aujourd'hui est le résultat de recherches progressives. On apprend notamment que le champagne est aussi une affaire de femmes. Autrefois Louise Pommery, la tante Lily (Bollinger), aujourd'hui Evelyne Boizel ... elles sont nombreuses à avoir marqué l'histoire.

La plus remarquable est sans doute Nicole Clicquot, plus connue sous le nom de Veuve Clicquot, généralement représentée âgée, alors que lorsqu'elle prend la succession de son mari elle n'a que 27 ans. On lui doit des inventions capitales comme la table de remuage sur, dit-on, sa table de cuisine en 1864 qui alors n'était pas encore inclinée à 35°.

Les opérations de remuage s'organisent trois ou quatre mois avant la date prévisible de commercialisation. Elles consistent à rassembler le dépôt constitué par les lies inactives et à les faire migrer vers le col de la bouteille au contact du bidule (l'opercule conçu pour récupérer les lies).

Dans un premier temps les bouteilles sont inclinées à 35° environ sur un chevalet en chêne, ou pupitre (voir photo un peu plus haut), constitué de deux faces planes assemblées par des charnières à leur sommet. Chaque face est percée de six trous taillés en biseaux sur dix rangées soit 120 bouteilles.

En les tenant par le fond, le remueur imprime aux bouteilles un mouvement bref et sec de rotation sur elles-mêmes de 1/8e, 1/6e, ou 1/4 de tour, tantôt à gauche tantôt à droite. Il s'agit de décoller le dépôt alourdi par les adjuvants de remuage de la paroi du verre et favoriser son déplacement vers le col, sur la face interne du bouchon (ou bidule), sans le remettre en suspension (un repère à la peinture blanche lui facilite l'opération). Au fil des semaines, il les redresse peu à peu, pour les amener à la verticale, tête en bas, dans la position dite sur pointe.

Un "bon" remueur manipule 40 000 bouteilles par jour, mais il n'est pas exceptionnel de monter à 70 000, d'où l'intérêt des gyropalettes, inventés en 1975,  qui effectuent ce travail mécaniquement.

La visite se termine par les dernières opérations précédant l'expédition. Le dégorgement (opération consistant à expulser le dépôt) a laissé dans la bouteille un vide qu'il faudra combler. De plus, l'acidité naturelle du vin et du gaz carbonique étant élevée, il est nécessaire d'édulcorer le contenu, selon que l'on désire obtenir un vin "extra-brut", "brut nature", "brut", "extra-dry", "sec", "demi-sec", ou "doux".

C'est le rôle que va jouer ce qu'on appelle la "liqueur d'expédition" (ou "liqueur de dosage") qui n'est autre qu'un mélange de sucre de canne très pur et de vieux vins de Champagne adapté à chaque cuvée.
Restera à mettre ensuite le bouchon de liège, la capsule et le muselet sur la chaine d'habillage. Et bien entendu l'étiquette dont la Maison de Castellane dispose d'une immense collection dans la salle des Etiquettes que j'ai eu la chance de visiter au sein de son fort intéressant Musée de la tradition champenoise.

On y voit moult déclinaisons de la célèbre étiquette dont certaines sont dues à de très grands artistes. Elles évoquent toutes la croix rouge de Saint-André qui est l'emblème du plus vieux régiment de Champagne-Ardennes, à l'époque des armées napoléoniennes. Mumm s'est attribué un cordon rouge. Et De Venoge un cordon bleu en double référence, d'une part à la rivière la Venoge qui coule en Suisse et dont la maison est originaire, d'autre part à Henri II, dernier Valois qui institua le port du cordon bleu comme insigne de l'ordre du Saint-Esprit en en faisant un symbole d'excellence. On sait bien ce que représente l'expression en gastronomie ...
Une dégustation termine le périple ... en toute évidence.
Bientôt je vous emmènerai dans une cave très différente d'aspect, à bord d'un petit train électrique, chez Mercier.
Je sais déjà que l'an prochain, et pour ce qui est d'Epernay, j'aurai envie de visiter celles de Moët & Chandon qui sont les plus vastes de la région Champagne et qui s’étendent sur 28 km. On raconte que dans ce labyrinthe souterrain légendaire, les forces de la nature se sont alliées pour créer un cadre unique propice à la métamorphose de fruits de qualité en vin de la Maison ... sous les auspices de Dom Pérignon dont la statue domine la cour.

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La visite des caves De Castellane
Quelques restaurants d'Epernay

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