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lundi 6 janvier 2014

L'invention de nos vies de Karine Tuil chez Grasset

De Clichy-sous-Bois à New York aller-retour, le livre de Karine Tuil nous embarque dans un triangle d'amour et de haine où nous considérons la réalité alternativement sous l'angle de Samir, de Samuel et de Nina.

La couverture est une énigme dont la réponse nous est donnée à la fin de la lecture. Le texte de la quatrième y est reproduit comme si l'auteure craignait qu'on en fasse l'impasse :
Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New York, la fortune et la célébrité médiatique, un « beau mariage »… Mais sa réussite repose sur une imposture. Pour se fabriquer une autre identité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombre lentement dans une banlieue française sous tension. Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitié aux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ?

À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, et c’est la déflagration…
« Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir » dit un proverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’un triangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle.
J'ai eu quelque difficulté à lire ce livre qui m'avait été chaudement recommandé. Peut-être trop. Il a fallu plusieurs chapitres avant que je ne m'attache aux personnages et que je prenne parti. Parce que cet ouvrage est ainsi fait qu'il faut bien choisir un camp.

Talleyrand disait que tant qu'à faire de mentir autant ne pas le faire à demi. Ce n'est pas sans raison que Samir, un des trois protagonistes, va s'inventer un passé sur mesure. Il se justifiera  en expliquant que son prénom avait une connotation arabe qui dérangeait tous ses employeurs potentiels sans que cela lui soit explicitement dit. Un jour, de guerre lasse, après une quarantaine de refus, il écorne son prénom qui devient Sam. Le CV qu'il envoie avec cette "nouvelle" identité lui ouvre les portes de la très belle carrière qui lui était d'ailleurs promise par ses professeurs.

Le jeune homme avait un cursus universitaire brillant et ses compétences ne sont jamais remises en cause. Nous ne sommes pas dans une mystification comme celle du héros de Arrête-moi si tu peux (le film de Spielberg en 2003) qui raconte l'histoire véritable de Frank Abagnale Jr. lequel à réussit à se faire passer pour un pilote de ligne, un médecin, un professeur d'université et pire encore l'assistant d'un procureur sans que jamais on ne puisse le démasquer.

Il n'empêche que la carrière de Sam Tahar est bâtie sur un mensonge. Samir devenu Sam est perçu comme étant juif et le vrai mensonge va consister à ne pas nier cette appartenance. Connaissant les clés de cette religion pour avoir eu un ami d'enfance juif, Samuel, il n'aura pas de grande difficulté à se couler dans le personnage que l'on projette sur lui.

Il va se lier d'amitié avec un Juif séfarade influent qui lui fera confiance et favorisera son ascension fulgurante dans un célèbre cabinet d’avocats à New York. Parallèlement son ami d'enfance connait une forme de déchéance à laquelle Nina assiste avec impuissance sans que l'on puisse penser qu'il y a une relation de cause à effet entre le succès de l'un et l'échec de l'autre.

Les hasards de la vie les remettent en présence et de nouveaux bouleversements se produisent. Le roman devient alors passionnant parce qu'on réalise que les choses ne sont pas si simples, surtout aux Etats-Unis où la question du mensonge est très sensible. Sam a pourtant des circonstances atténuantes même si son manque de scrupules est flagrant et impardonnable. Et le lecteur sera amené à remettre en cause son propre jugement.

L'intrigue n'est pas située à une date précise tout en faisant allusion aux émeutes des banlieue en 2005, au calvaire du jeune juif Ilan Halimi, enlevé et martyrisé par le Gang des Barbares, en passant par le phénomène des jihadistes français et du scandale autour de Dominique-Strauss Kahn. Cela rend l'ensemble plausible en fin de compte même si Karine Tuil a l'art de charger les personnages. Son écriture est formidablement rythmée, presque haletante. Elle travaille à l'adaptation cinématographique du roman et je ne serai pas la dernière à aller voir le film au cinéma en espérant que ces qualités d'écriture y seront préservées.

Le plus troublant est qu'effectivement on sait bien que le nom et les origines sociales conditionnent la carrière de chacun. Je me suis en quelque sorte reconnue dans certains passages du livre (mais je ne vous dirai pas dans quelle situation ni quel personnage). Ce n'est pas un hasard si ce roman est un tel succès au moment où les sociologues reconnaissent que l'ascenseur social est bloqué. On en vient à réfléchir à une loi où les noms ne figureraient plus sur les CV, comme si cela pouvait être une solution.

Née en 1972 à Paris, Karine Tuil est l’auteure de neuf romans. Elle a commencé sa carrière d’écrivain après des études de droit avec Pour le Pire en 2000, où elle observe la lente et douloureuse décomposition d’un couple. Le premier succès arrive avec Interdit en 2001 qui évoque la crise identitaire d’un vieux juif. Sa trilogie sur la famille juive passe aussi par Du sexe féminin en 2002 où elle relate avec délicatesse et franchisse l’humour juif à travers des relations mère-fille.

L'invention de nos vies de Karine Tuil chez Grasset

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