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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 22 février 2014

Moi, Colette au Petit Théâtre de Maxim's

C'est un théâtre incongru, le Petit théâtre de chez Maxim's, parce qu'il n'est pas facile à exploiter même si sa situation en plein Paris est très avantageuse. C'est une comédienne, Véronique Fourcaud, que j'ai déjà vue sur scène et que j'apprécie. C'est un sujet qui m'intéressait. Les conditions étaient réunies pour que je vous fasse part de mon enthousiasme ... et puis non. Comme quoi je peux ne pas perdre mon esprit critique malgré de sympathiques intentions.

Il s'agit de s'appuyer sur un prétexte pour en faire un one-woman-show. Nous sommes en Juin 1935 dans une cabine première classe du paquebot Normandie, de retour de son voyage inaugural vers les States, en compagnie d'une "people" des années 30, Colette.

La pratique ne date pas d'hier. Parmi le millier de passagers, en tête desquels se trouve Marguerite Lebrun, épouse du Président de la République et marraine du navire, nombre de personnalités participent à la traversée. On y trouve ainsi l'actrice Valentine Tessier, la grande couturière Jeanne Lanvin, plusieurs nobles, un Maharajah, des ministres et sénateurs, des académiciens, beaucoup de journalistes qui expédieront leurs articles par TSF pendant les 5 jours de la traversée.

Un photographe professionnel sera habilité à "couvrir" l’événement : Roger Schall, alors très connu pour ses reportages et photos de mode. Il sera le seul à capter tous les instants de ce voyage, du dîner de gala formel aux accolades autour du bar de la piscine en passant par les promenades sur le pont supérieur. C'est un des clichés de la collection Schall qui illustre cet article.

Les grands journaux ont réservé des cabines pour leurs envoyés spéciaux. Certains "s’offrent" des plumes célèbres : Blaise Cendrars pour Paris-Soir (mais en classe touriste) et Colette, qui avait été en 1919 directrice littéraire du journal Le Matin,  embarque pour le quotidien Le Journal (en première classe).

Celle-ci nous est montrée, mettant la dernière touche à la causerie que lui aurait réclamé le commandant, histoire d'animer une soirée.

Pierre-André Hélène en est l'auteur. Historien d’art, écrivain et comédien, il est aussi le directeur du nouveau musée parisien "La collection 1900" chez le même Maxim’s. Il introduit le spectacle en nous jurant avoir découvert après coup qu'une causerie de la sorte aurait bel et bien eu lieu. Le souci est qu'on n'en retrouve pas la trace, ou du moins très fugace, évoquée comme ayant été fait à l'aller et non au retour. Le discours en question a été improvisé.

Les paroles attribuées à Colette (1873-1954) ne sont donc pas celles qu'elle aurait prononcées là-bas mais elles restent plausibles. Ses souvenirs sont dans le domaine de la notoriété publique et il n'est pas compliqué de puiser dans le vivier pour les donner à dire sur scène. On veut bien croire que Pierre-André Hélène ait réinventé, avec ses propres mots, le fil d’un discours qu’elle aurait pu dire.

Elle a collectionné les amants (le masculin pluriel inclue le féminin mais on comprendra qu'il n'en soit pas question ce soir). Il était sans doute impensable qu'elle évoque publiquement ses amours féminines. Quand on pense qu'il lui fallut épouser civilement sur le paquebot Maurice Goudeket, qui restera son plus proche ami jusqu'à la fin de sa vie, de manière à ce qu'ils puissent partager à New-York la même chambre d’hôtel !

On connait désormais surtout la femme en tant qu'écrivain. Elle démarra sa grande carrière comme nègre ... de son mari. On sait bien aujourd'hui qu'il s'est attribué ses premiers ouvrages. Et si on se replace dans la France des années trente il faut savoir que Colette était très appréciée en tant que journaliste.

Le point de départ du spectacle était donc judicieux. A condition qu'on ait vu et entendu la femme journaliste. L'action a lieu dans l'espace confiné de la chambre. L'espace est réduit mais le parti pris de mise en scène choisi par Théodora Mytakis ne fonctionne pas bien. L'actrice est comme bloquée derrière un bureau qui fait barrage entre elle et le public alors que c'est à lui qu'elle s'adresse à plusieurs reprises de manière intentionnelle, frôlant presque le dialogue à coups de Voulez-vous savoir ?

Il aurait été plus intéressant d'opter radicalement pour ce procédé, quitte à revoir le texte a minima. Ou alors demeurer dans une direction d'acteurs intimiste avec une Colette se parlant à elle-même ...

Cette voie aurait permis de mieux mettre en lumière les diverses facettes de cette femme qui un jour élevait des chats, des chiens, des chauve-souris, des écureuils, un autre ouvrait rue de Miromesnil un institut de beauté, bien forcée de gagner sa vie pour maintenir sa liberté, et d'enchainer ce qu'on appelle maintenant "les boulots alimentaires". Et qui aussi conseilla à Georges Simenon Écrivez des histoires simples, surtout pas de littérature. Il est vrai que ce fut après 1935 ...

Est-ce parce qu'on s'approche de la Journée de la Femme (le 8 mars) que j'attendais davantage de cette pièce ? Elle sera la première femme à laquelle la République accordera des obsèques nationales, en dépit de sa réputation sulfureuse et du refus par l'Église catholique de consentir à un enterrement religieux. Car enfin Colette avait un charisme hors du commun, alliant humour et causticité et il est dommage de nous la montrer surtout comme (je cite le texte) une emmerdeuse, ni comme quelqu'un (je cite encore) qui a horreur d'écrire, n'ayant jamais le bon stylo.

Le moins qu'on puisse dire est que cette aura ne saute pas aux yeux en entendant la musique du film Titanic, ou en la voyant attifée comme elle l'est dans cette pièce. Impossible de l'imaginer faire un discours dans cette tenue devant un parterre de personnalité ! Difficile aussi de concevoir qu'elle a encore devant elle une vingtaine d'années à vivre.

Ses traits (positifs) de caractère ressortent insuffisamment, de même que son talent d'écriture comme en témoignent quelques phrases qu'elle a écrite au sujet de cette traversée :
"Dans la salle à manger aux murailles translucides, un bataillon impeccable de stewarts a retrouvé la vie, sinon le mouvement, sous un plafond de basilique, au soleil d’une futaie de colonnes lumineuses. À perte de vue, des icebergs givrés et géants, orgues de cristal… Je suis seule et j’hésite à commander ce qui me paraît être, par contraste, le plus petit café au lait du monde."
Ou encore :
"Derrière une brume bleue, le groupe des géants se lève, grandit peu à peu, crève de la tête la brume, offre au soleil des fronts dont aucun édifice humain n’égale la hardiesse."
Ces paroles sont extraites du livre souvenir commandé à Blaise Cendrars, A bord de Normandie, hélas épuisé.
Dans le Journal de la Traversée, Colette exprime au retour (qui est le moment où l'auteur situe sa pièce) une vision romantique de la capitale américaine :
"A demi visible, New-York se pare de romantisme autant que les burgs qui sortirent hérissés, empennés, des songes de Gustave Doré, de Victor Hugo, et même de Robida. Dérivés tous du cube, fidèles au quadrilatère simple ou du quadrilatère gigogne, une loi mystérieuse d'opportunité et de proportion veut pourtant que l'un soit beau, contente l'oeil et l'esprit, tandis que l'autre se fait lourd, affligé de sa propre hauteur, montre et rétrécit par degrés massifs."
On est loin de ses remarques ironiques : Ah New York ! Les stylos y sont les mêmes qu'à Paris mais ici ils sont plus frais. Ou encore : Les seuls qui parlent français sont les chats ... quand ils miaulent.

Le spectacle a néanmoins plusieurs qualités, à commencer par donner envie de se replonger dans l'oeuvre de Colette. Comme par exemple le recueil Prisons et Paradis, où Colette nous offre mille et une de ses recettes (elle était très très gourmande).

Voici le secret de son élixir, le vin d’oranges : "... Au milieu des cris, je coupai, je noyai, quatre oranges coupées en lames, un citron qui pendait, le moment d’avant, au bout de sa branche, un bâton de vanille argenté comme un vieillard, six cents grammes de sucre de canne. Un bocal ventru, bouché de liège et de linge, se chargea de la macération, qui dura cinquante jours; je n’eus plus qu’à filtrer et mettre en bouteilles."

Colette autant culturelle que culinaire ...

Quelques mots à propos de Véronique Fourcaud, comédienne et chanteuse lyrique, qui à de trop brefs instants évoque Colette dès qu'elle prend appui sur son coude en nous regardant de trois quarts. Elle en a la carrure et il suffirait de peu pour quelle soit tout à fait le personnage.
Elle interprète aussi en ce moment le "monstre" de théâtre que fut Sarah Bernhardt au Théâtre du Ranelagh tous les mardis à 20 heures jusqu'au 18 mars. C'est un spectacle que j'ai déjà vu et qu'il ne faudrait pas bouder.

Moi, Colette avec Véronique Fourcaud
Une pièce de Pierre-André Hélène, mise en scène de Théodora Mytakis
Depuis le 19 janvier 2013 les dimanches à 16h30
Petit théâtre de chez Maxim's, 3, rue Royale, 75008 Paris
Réservations par tél. au 01.42.65.30.47

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