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samedi 13 septembre 2014

La famille Bélier, de Eric Lartigau en avant-première pour la clôture du festival Paysages de cinéastes

(mis à jour le 21 février 2015)
La 13 ème édition du festival Paysages de cinéastes de Chatenay-Malabry aura été assez éprouvante. La sélection a révélé des films assez durs, très engagés, ce qui fera dire à la présidente Anne Le Ny qu'ils furent âcres.

Nous avions envie de douceur, sans être prêts à concéder à la mièvrerie. Eric Lartigau nous a comblé avec La famille Bélier qui recevra une véritable ovation.

Le choix de Carline Diallo, Déléguée générale du festival aura été judicieux. Elle nous promet le film qui apportera la légèreté dont nous avons besoin pour faire descendre la pression, tout en restant dans le thème puisque la musique y joue un rôle prépondérant.
Dans la famille Bélier, tout le monde est sourd sauf Paula, 16 ans. Elle est une interprète indispensable à ses parents au quotidien, notamment pour l’exploitation de la ferme familiale. Un jour, poussée par son professeur de musique qui lui a découvert un don pour le chant, elle décide de préparer le concours de Radio France. Un choix de vie qui signifierait pour elle l’éloignement de sa famille et un passage inévitable à l’âge adulte.
Eric Lartigau a confié que le rôle principal était tenu par Louane Emera, qui a été révélée au public en 2013 par l’émission The Voice où elle se maintint jusqu’en demi-finale. Vous vous souvenez peut-être de cette toute jeune fille de 16 ans interprétant la chanson de William Sheller, Je vais être un homme heureux. Les 4 juges s'étaient retournés. Eric Lartigau ne pouvait pas faire meilleur choix lui aussi. Il cherchait une comédienne sachant chanter. Il découvrit une chanteuse capable de jouer.

Il a résumé son film comme le trajet initiatique d'une jeune fille devant quitter sa maison. Il a voulu pointer à cette occasion nos peurs engendrées par les séparations.

Ça commence un soir par un vêlage. On se croirait dans un ultime épisode de l'Amour est dans le pré. L'animal est tout noir. Il lui faut un nom. Ce sera "Nuit blanche".

Le générique confirme le ton : une sinusoïde parcourt l'écran, promettant qu'un courant alternatif électrisera les personnages en les secouant d'émotions extrêmes, tantôt ultra exaltantes, tantôt décourageantes. Avec entretemps des scènes d'un comique extrêmement libérateur et réjouissant.

Il y a beaucoup de couleurs, des paysages de campagne paisible. On pressent de la joie, de la bonne humeur, malgré les soucis. Paula gère les retards de commandes au téléphone tout en allant au lycée. On se demande pourquoi c'est elle qui fait ça. On comprend vite que vu qu'il n'y a qu'elle qui parle dans la famille cela créé des obligations.

On retrouve tout ce beau monde plus tard sur le marché. Paula explique comment s'opère chez eux la division du travail : elle sourit, je parle, il encaisse. La salle éclate de son premier fou rire. Elle, c'est la mère (Karin Viard, agricultrice insensée dans ses robes de top model), lui, c'est le père (François Damiens tout autant incroyable derrière sa barbe de satyre).

Il y aura mille détails drôlissimes : la couleur jaune (Poste) de leur voiture, la façon de parler des "zandicapés", le désir du père de se présenter aux élections municipales, les confrontations avec le maire sortant. Pour se préparer il s'imprégnera de la prose d'un spécialiste, François Hollande, qui a publié "Changer de destin" et quelques scènes plus loin "Le rêve français" qu'il lira avec autant d'avidité tandis que sa femme s'imprègne de la pensée de Kennedy.

Les jeunes filles parlent sans tabous de leurs désirs d'amour. 

Eric Elmosnino campe un prof de musique qui ne mâche pas ses mots pour motiver ses troupes : le chant c'est votre fosse à purin personnel. Chantez avec vos tripes ! ou encore Vous avez une pépite dans le gosier et elle est en colère. Et enfin : On va braver le sort et s'attaquer à un monument ... Michel Sardou !

Au-delà des effets comiques générés aussi par l'emploi du langage des signes (que les acteurs ont du apprendre), il y a dans ce film une vraie réflexion sur la différence et sur le regard qu'on peut poser sur les handicapés. On a envie de s'arrêter sur certaines phrases : c'est pas un handicap d'être sourd ma fille c'est une identité (comme pour d'autres la couleur de leur peau).

On assiste au cas de conscience de Paula partagée entre l'envie de vivre son rêve (monter à Paris pour devenir chanteuse professionnelle) et la culpabilité d'abandonner sa famille qui a tant besoin d'elle puisqu'elle est leur médiatrice. Entre les deux son cœur balance et on vibre avec elle. Son professeur aussi, très émouvant lorsqu'il l'accompagne à Radio France.

Les scènes de chorale sont remarquables d'intensité. D'abord parce que la puissance et la qualité des interprétations vont crescendo tout au long du film. Ensuite parce que le public prend conscience du handicap des parents quand un concert est filmé de leur point de vue. C'est en voyant l'émotion des spectateurs qu'ils réalisent le talent de leur fille. Inversement nous comprenons l'ampleur de leur silence lorsque le réalisateur coupe le son.

Très beau moment aussi quand le père demande à sa fille de chanter en posant la main sur sa poitrine pour en percevoir les vibrations. Et qu'il lui donne ensuite son feu vert pour partir ... mais en famille car chez les Bélier on reste unis à la vie, à la mort.

On ne pouvait pas imaginer une chanson plus riche de sens que Je vole de Michel Sardou :
Mes chers parents je pars
Je vous aime mais je pars
Vous n'aurez plus d'enfants, ce soir
Je m'enfuis pas je vole 
Et il faut avouer que Louane l'interprète à la perfection, avec un je ne sais quoi qui fait penser à Cœur de Pirate. Elle recevra un très mérité César du  Meilleur espoir Féminin à la Cérémonie des César le 20 février 2015.

On a beaucoup ri, et pleuré aussi mais d'une saine émotion. Et je vous plains de devoir attendre décembre pour le voir puisqu'il ne sortira pas avant.

La famille Bélier, d'Eric Lartigau, sortira en salle le 17 décembre 2014

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