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jeudi 15 janvier 2015

Détails d'Opalka de Claudie Gallay chez Actes Sud


Claudie Gallay nous a habitués à des romans. Elle construit une oeuvre dense, exigeante, où les Déferlantes ont constitué en 2008 un cap décisif. Détails d'Opalka marque une rupture tout en ne créant pas tant que ça la surprise. Ce dernier livre est un récit qui s'apparente à l'essai et qui pourtant, parfois, se lit comme un roman.

Il faut être un tant soit peu amateur d'art contemporain pour connaitre le peintre Roman Opalka. Claudie Gallay a tellement fouillé son oeuvre qu'elle est capable d'en restituer une sorte de biographie, traduisant avec admiration et respect l'engagement si singulier d'un artiste qu'elle n'a pourtant jamais rencontré.

Roman Opalka peignait depuis très longtemps. Il avait les notions du trait et de la couleur. Il avait entrepris des séries de points sur des toiles mais cela ne le satisfaisait pas pour faire du temps la matière sensible de son oeuvre (p. 25).

Un jour de 1965, à Varsovie, attendant une femme qui n'arrivait pas, il ressent pleinement l'ampleur de ce temps qui passe. Il sort son carnet, fait des points comme à son habitude ..., Soudain s'opère le déclic de tracer le chiffre 1 puis 2, 3, 4 et ainsi de suite. On peut considérer qu'alors il ne s'est jamais arrêté même s'il fallut six mois de tentatives avant de formaliser son travail.

Opalka décide de peindre en blanc avec un pinceau n°0 sur des toiles noires de 196 x 135 cm la suite des nombres de un à l'infini. Il intitule chacune de ses toiles Détail. A partir de 1972, il ajoute 1% de blanc à chaque fond d'une nouvelle toile, si bien que les nombres se fondent progressivement dans le support sur lequel ils sont inscrits. Matérialisant également l'érosion du vivant par le temps, il enregistre quotidiennement le son de sa voix prononçant les nombres qu'il est en train de peindre. Une voix qui se transforme au fil des années...

Il saisit aussi la marque du temps sur son propre visage, se photographiant après chaque séance, en étant très attentif à cacher ses émotions, y compris le jour de la mort de son père alors qu'il se sentait submergé par un immense chagrin. Au bout de 40 ans de portraits on voit ... le temps qui a sculpté son visage. Son oeuvre est collée à la vie, la sienne, et par voie de conséquence à la nôtre. 

Il a conscience de prendre la mort, la sienne encore, comme outil pour achever une oeuvre, la sienne toujours. Et cela dans une sorte de bonheur absolu, jusqu'à la fin. Il a imposé sa pensée, comme une danseuse de ballet s'engage lorsqu'elle lâche la barre. Il a sacrifié toutes les autres formes picturales, s'astreignant à ne plus peindre, ni femmes, ni paysages, écartant les couleurs pour ne garder que le noir et le blanc.

Il aimait par dessus tout travailler, et Claudie Gallay se reconnait dans cette exigence.  Opalka était terrifié à l'idée de mourir après avoir terminé une toile et surtout avant d'en avoir commencé la suivante. Comme lui elle connait (p. 55) ce sentiment d'immense vulnérabilité, entre deux romans

Claudie Gallay tient un journal littéraire pour conserver la trace des journées. Si sa "rencontre" avec l'oeuvre d'Opalka a marqué sa vie son livre n'a rien d'intellectuel, contrairement à ce que l'on aurait pu craindre. L'essai qu'elle a écrit restitue la poésie et la simplicité de son oeuvre, pour la mettre au contact de chacun tout en reflétant les points de convergence avec la sienne. Sans doute une des coïncidences heureuses qu'elle a raison de souligner.

Détails d'Opalka de Claudie Gallay chez Actes Sud, avril 2014

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