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dimanche 30 août 2015

Kiki de Montparnasse mise en scène de Jean-Jacques Beinex au Lucernaire

Kiki de Montaparnasse est la star de la rentrée. On ne parle plus que d'elle. L'élément accélérateur a probablement été la publication de ses "Souvenirs retrouvés", préfacés par Serge Plantureux aux éditions Corti et Serge Plantureux, en 2005. Peut-être aussi le livre édité trois ans plus tard chez Casterman, en mars 2007, par Catel Muller, auteure de bande dessinée, illustratrice et scénariste de la série télévisée Un gars, une fille.

Avec un tel matériau il est logique que Kiki se détriple. Elle est toujours à l'affiche au Théâtre de la Huchette. Elle est aussi au Théâtre le Guichet Montparnasse, dans un spectacle mis en scène et joué par Françoise Taillandier.

Et la voilà qui apparait au Lucernaire, depuis hier soir, dans une mise en scène par Jean-Jacques Beineix.

Il a choisi Héloïse Wagner pour incarner celle que l'on surnommait la muse aux mille portraits. Un choix qui n'est pas anodin puisqu'ils ont déjà travaillé ensemble. Elle était Georgia dans Cinq filles couleur pêche d'Alan Ball au Cirque d'hiver en 2010. C'est la fille de la comédienne Tania Torrens et du compositeur Reinhardt Wagner, auquel on doit les musiques du spectacle.

La jeune femme cumule beaucoup de talents, à l'instar de l'héroïne qu'elle interprète. C'est une artiste complète qui est danseuse et comédienne, tant pour le théâtre que pour le cinéma, chanteuse aussi et le disque "Kiki de Montparnasse" (Editions Milan Music) est sorti le 28 Août dernier.
Les paroles ont été écrites par Frank Thomas dont chacun connait une multitude de chansons, sans savoir que c'est à lui qu'on les doit. Comme Des jonquilles aux derniers lilas, pour Hugues Aufray en 1968, Bip-bip ou Les Dalton, pour Joe Dassin en collaboration avec Jean-Michel Rivat. C'est avec le même complice qu'il a coécrit Bébé requin, pour France Gall en 1967, Le Lundi au soleil pour Claude François en 1972,  Dites-moi, pour Michel Jonasz en 1974, et, pour Stone et Charden L'Avventura (1971) Il y a du soleil sur la France (1972) Laisse aller la musique (1973) ou encore Made in Normandie (1974).

Kiki a posé pour Fujita, Modigliani, Soutine. Mais c'est surtout son dos, immortalisé par le photographe Man Ray, évoquant un violon, que l'on retient d'elle. Ce cliché est m'a-t-on dit la photo la plus vendue au monde. Mais qui sait que ce dos appartient à Alice Prin, qui était le vrai nom de Kiki ?

Kiki est devenue ce qu'on appelle un personnage. Chaque metteur en scène pourra dire que sa vision est la bonne. Il en va de Kiki comme des grands héros, son apparition est kaléidoscopique. Et chaque spectacle révèle une facette. Celle de Jean-Jacques Beineix pointe peut-être davantage son humanité.
Montparnasse, années 20, l’atelier d’un peintre, une femme enfile ses bas... et se souvient. Elle fut .. elle est à jamais Kiki de Montparnasse, effrontée, libre, modèle nue … Elle chante, peint, danse, anime des soirées de folie. Man Ray, l’œil exercé, "trouve son physique irréprochable de la tête aux pieds", il en fait son égérie, elle, son amant. En un cliché, il l’immortalise. Kiki croise les poètes, les écrivains, Hemingway devient son ami. De la Coupole à la Rotonde, du Jockey au Bar Dingo, de New-York à Berlin, Kiki s’étourdit, brûle sa vie et trace en lettres d’or le destin d’une légende du Montparnasse.
Durant un peu plus d'une heure Jean-Jacques Beineix met en lumière son coté flamboyant comme son allure bohème, sans occulter les périodes sombres et la descente aux enfers.



Un atelier d'artiste compose le décor mais il évoque aussi l'atmosphère d'un studio de cinéma, par la présence de l'écran mais aussi par l'organisation des accessoires. Chaque objet peut être vu comme la métaphore d'un univers. Le mannequin, la table, le vinyle, la statue ... tout renvoie à des mondes différents.

Sur la scène, la comédienne prend la pose et pousse la goualante, en direct, accompagnée par deux musiciens. La nostalgie est bien là mais la tristesse est en mineur, et c'est mieux ainsi. On connait la fin tragique de Kiki. Point n'est besoin de l'accentuer. Il suffira qu'elle retire sa perruque pour que l'on comprenne qu'elle tombe le masque et met son coeur à nu. Même lorsqu'elle évoque sa laideur elle demeure généreuse et flamboyante.
Il faut beaucoup de subtilité pour interpréter le rôle d'une femme dont le métier était d'être regardée des hommes et dont la vie aura été un tourbillon.

Kiki ne dit pas tout mais elle ne cache rien et révèle ses doutes les plus intimes. Privée d'amour elle aurait pu s'aigrir. Au contraire sa générosité n'a pas de bornes, quitte à y laisser sa peau. On vit au rythme de ses confidences et de ses chansons le Montparnasse des années folles. C'était il y a presque un siècle et cela semble hier.

On n'oublie pas que Jean-Jacques Beineix est un réalisateur de cinéma. Mais les vidéos qu'il a conçues avec Christian Archambeau ne sont pas illustratives. Les images projetées semblent intemporelles et aucune n'est anecdotique.

L'interprétation d'Héloise Wagner est remarquable en ce sens qu'elle n'a pas besoin de rouler les r ni de se dévêtir outrageusement pour faire vivre son personnage. Que ce soit lorsqu'elle chante son trouble pour Amadeo (Modigliani) ou celui de Man Ray à son encontre elle se livre sans fausse pudeur. On ressent les courbatures lorsqu'elle pose, son regret de n'avoir pas su profiter de la chance (si j'avais été un peu plus grue, nous dit-elle ...) sa détresse face à son incompréhension de la langue américaine, sa douleur en apprenant la maladie incurable de sa mère, son épuisement à devoir assurer le devant de la scène, à Paris comme à Berlin ou à Saint Tropez, son désespoir à devoir user de l'alcool ou de la coke pour honorer ses contrats.

Le temps passe et le vinyle termine sa course. C'est presque la même image qui ouvre et clôture le spectacle.
En quittant le Lucernaire on remonte jusqu'à la gare en longeant la Coupole ou la Rotonde en se disant que la vie est aujourd'hui bien différente. On approuve : Montparnasse a bien changé.

Kiki de Montparnasse
Du 29 août au 18 octobre 2015
Du mardi au samedi à 21h30, le dimanche à 19h
Au Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris, tel 01 42 22 66 87
Mise en scène : Jean-Jacques Beineix
Chansons : Frank Thomas
Musique : Reinhardt Wagner
Avec : Héloïse Wagner
Accompagnée par : Rémi Oswald ou Jean-Yves Dubanton et Rodrigue Fernandes
Assistante mise en scène : Manon Elezaar
Chorégraphie : Corinne Devaux
Vidéo : Christian Archambeau / Jean-Jacques Beineix
Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 25 septembre 2015 à l’issue de la représentation.

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est © JJ Beineix

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