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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 30 septembre 2015

Tandis que je me dénude de Jessica Nelson aux éditions Belfond

Je n'avais pas lu le premier. roman de Jessica L. Nelson et je découvre son écriture avec Tandis que je me dénude ... un roman qui raconte la présentation au cours d'une émission télévisée d'un "premier" roman par une jeune femme prénommée Angie qui va développer tout au long de la soirée un délire de persécution.

Jessica L. Nelson connait très bien l'univers de ce type d'émission. Elle a été chroniqueuse dans Vol de nuit,  l'émission de Patrick Poivre d’Arvor puis elle a travaillé pour Au Field de la nuit, sur Tf1, présentée par Michel Field.

S'agissant du monde de l'édition, elle a commencé comme lectrice chez Balland, où elle a aussi été éditrice de quelques titres. Elle a été journaliste culture pour Citizen K. Elle est passée de l'autre coté en 2005 avec la publication de son premier roman.

Désormais romancière elle est aussi la fondatrice des éditions des Saints Pères qui publie les manuscrits de grands auteurs. Tout ce qui touche de près ou de loin à l'écriture la concerne donc.

Elle n'a pas besoin d'avoir vécu les mêmes affres que son héroïne pour les connaitre quasiment de l'intérieur. Elle a eu l'occasion de voir et d'entendre de quoi alimenter son roman sans devoir inventer lourdement. Cela se sent au fil de la lecture. C'est tellement plausible ...

Un auteur peut difficilement se passer de la télévision aujourd'hui et plus généralement de l'appui des réseaux sociaux qui, inversement peuvent se révéler devenir de dangereux liens.

Jessica L. Nelson explore tout cela sans concession, en donnant la parole à une série de personnages qui semblent caricaturaux mais qui pourtant existent réellement dans la "vraie" vie, qui est loin d'être douce.

L'attachée de presse, le politicien, l'acteur, le journaliste et bien sûr aussi "le" bloggeur en prennent pour leur grade. Chacun tire la couverture (médiatique) à soi en oubliant que le paraitre est éphémère.

L'écriture de ce roman est ambitieuse. Elle a la violence d'un manifeste. On a envie de lui dire : Bravo Jessica. C'était dur mais tu t'en es remarquablement tirée !

Tandis que je me dénude, de Jessica L. Nelson, Belfond, sortie le 13 août 2015.

mardi 29 septembre 2015

Je suis à vous tout de suite de Baya Kasmi

Baya Kasmi est avant tout connue pour ses courts-métrages, mais aussi pour son métier de scénariste. Elle a notamment écrit le scénario du film Le Nom des gens, inspiré de sa propre vie. Cette fois-ci, elle a décidé de passer derrière la caméra pour son premier long-métrage Je suis à vous tout de suite. Avec son collègue de toujours, Michel Leclerc, ils ont écrit le scénario ensemble.

Le film aborde frontalement des sujets tels que la religion, l'intégration, la place de la femme dans nos sociétés, le tout sur le ton de la comédie. Je l'avais vu au début du mois, en avant-première au festival Paysages de cinéastes. Il sort en salles le 30 septembre 2015.

C'est un livre de Philip Roth qui a inspiré l'idée de ce long-métrage à Baya Kasmi en lisant "La Contrevie". 

Elle a grandi dans une famille de quatre enfants, tous attachés à leurs origines algériennes, mais de façons très différentes. Elle a donc voulu recréer ces points de vues opposés à propos de la religion dans son film. Les conflits au sein d'une famille issue de l'immigration est un sujet qui la passionne. A condition de traiter le sujet avec humour, pour pousser les situations dans leurs paradoxes et parler de ces thèmes avec plus de légèreté, ce qu'elle réussit à la perfection. C'est peu dire que nous avons énormément ri.

Le film est à prendre au second degré mais sans oublier que le sujet demeure sérieux.

Les personnages ne sont pas communs au cinéma. D'abord Hanna, la fille ainée des Belkacem, qui a grandi au sein d'un couple atypique. Son père, épicier (Ramzycomme sa mère, psychanalyste (Agnès Jaoui), ne savent pas dire non à qui que ce soit. Lui dirige une épicerie associative et fait toujours crédit à ses clients. Sa mère, psy, analyse ses patients souvent gratuitement. Hanna, directrice des ressources humaines, a hérité de ce handicap. bien qu'elle ait beaucoup de tempérament. Licencier un employé la fait beaucoup souffrir.

Hanna est interprété par Vimala Pons qui avait déjà travaillé sur un court-métrage avec Baya Kasmi, qui apprécie énormément sa capacité à passer du triste au drôle. Camélia Jordana interprète Kenza, la femme d'Hakim. On retrouve aussi Anémone au top de la forme qu'on lui a connue dans un rôle de la grand-mère. 

Cela donne des scènes hilarantes. Ce qui n'empêche pas le sérieux comme je l'ai écrit plus haut.

Ainsi l'identité est la résultante de nos origines, avec le choix qu'on fait en fonction de ce qu'on vit bien ou mal. Baya Kasmi réussit à traiter la crise identitaire d'un point d vue qui n'est pas seulement religieux mais surtout humain.

Le personnage du fils retourne vivre en Algérie où il va apparaitre plus décalé qu'il n'est en France.

Tout est équilibré, les rapports hommes-femmes, la France-l'Algérie. Si bien que le spectateur peut se projeter dans chacun des personnages. L'anti thèse n'est jamais loin de la thèse. Cela pourrait être ridicule mais ça ne l'est jamais.

Quelques exemples : le père épicier explique que s'il ne mange pas de porc (il est musulman) il met un point d'honneur à toujours vendre du jambon et des lardons. Parce que quand on vit en France il faut en respecter les usages.

Suite à un quiproquo l'amoureux d'Hannah pense qu'elle se prostitue  Alors quand au cours d'un dîner on lui demande sa profession et qu'elle répond directrice des ressources humaines il l'encourage gentiment à dire la vérité en toute simplicité, bref qu'elle est pute ...

Le film baigne dans beaucoup d'humour sur des choses tristes ou émouvantes qui sont toujours traitées avec un mélange de dérision et de tendresse. Je suis à vous tout de suite est un cinéma d'auteur mais reste une comédie.

Je suis à vous tout de suite de Baya Kasmi
Co-scénaristes Baya Kasmi et Michel Leclerc
avec Vimala Pons, Mehdi Djaadi, Agnès Jaoui, Ramzy Bedia, Laurent Capelluto (Paul), Claudia Tagbo, Camélia Jordana sans oublier Anémone (La grand-mère)

lundi 28 septembre 2015

Photographes au front, un film d'Aurine Cremieu

Photographes au front sera présenté en clôture du Prix Bayeux-Calvados des reporters de guerre dans quelques jours. Une projection en avant-première a eu lieu ce soir dans un des cinémas mythiques parisiens, le Grand Action de la rue des Ecoles.

Le documentaire d'Aurine Cremieu est un bel hommage à l'aventure de la création du Service Photographique des Armées, mis en place en 1915 en faisant revivre les pionniers du reportage de guerre dans les tranchées de 14-18.

Ce conflit aura été le premier à être photographié. Etre photographe de guerre n'était pas encore un métier en 1914. On commence à recruter en 1915 alors que l'Allemagne a déjà organisé la propagande.
Les appareils étaient sans commune mesure avec ceux dont disposent les reporters aujourd'hui. L'utilisation et les contraintes étaient différentes. Il faut imaginer les poilus, bardés de matériel (le pied, les plaques, le boîtier etc..). Leurs clichés ne peuvent pas être les mêmes. Le photographe avec 4 plaques par mission, pas plus car trop lourdes, devait y réfléchir à deux fois avant de déclencher son obturateur au risque de passer à côté de l'histoire pendant sa mission.

Ce qu'il rapporte est alors plutôt sur le registre de l'objectivité (du fait des temps de pose) que de la subjectivité à laquelle le numérique a donné accès. Quand les gens posent, ils prennent le photographe à témoin.

La grande différence avec le monde contemporain c'est aussi que tout le monde peut s'improviser photographe avec son téléphone portable. Cela change la donne. Mais, comme le souligne Patrick Chauvel  "il faut que la photo soit belle, sinon ça ne passera pas". 

Ce qui est original dans le documentaire présenté cette fois-ci est de faire le lien entre le passé et le présent. En sollicitant de grands reporters contemporains pour recueillir leur analyse la réalisatrice a réussi de ce fait à démontrer que la photographie avait toute sa place à la télévision.

Elles étaient en guerre avait l'an dernier mis en relief le rôle des femmes.  Et pour la seconde fois la photo est l'acteur principal d'un film. Pour mettre en lumière un autre aspect de cette Grande Guerre, son rôle dans la photographie de témoignage.

Ces premiers reporters de guerre ont témoigné avec énormément de talent. Ils sont nombreux à "avoir fait une plaque", comme on dit encore aujourd'hui d'une photographie qui sort du lot.

Patrick Chauvel, Marie Dorigny, Éric Bouvet, Baptiste Giroudon, Alain Mingam, Samuel Bollendorff, Adjudant-chef Janick décryptent ces images en explorant les motivations de leurs "précurseurs". Ils en profitent pour nous parler de leur métier, de leur passion et de la nécessité d’aller sur le Front.

Du coup c'est davantage un film d'action qui nous est donné à regarder qu'une série d'images fixes. On comprend que dès le début du conflit la représentation de la Guerre état déjà pensée de diverses manières pour donner le point de vue des soldats, celui de l'arrière, celui des femmes, des civils ou encore celui du Patrimoine.

La sélection fut, on s'en doute, difficile parmi les 92 000 plaques répertoriées à l'Agence photo de la Défense. Elle semble couvrir toutes les situations. Certaines photos nous semblent familières et donnent envie d'aller fouiller dans les tiroirs de nos grands-parents.

On pourra quand même s'agacer que ce sont les dates des guerres que les enfants apprennent à l'école plutôt que celles des grandes découvertes... même s'il ne faut pas oublier que cette guerre a mobilisé plus de 8 millions d'hommes et fait plus de 9 millions de victimes, laissant ainsi une blessure indélébile dans les mémoires.
Photographes au Front sera diffusé à partir du mardi 29 septembre à 20h40 sur la chaîne Histoire
Une coproduction Camera Lucida – ECPAD – Histoire
Avec la participation de TV5 Monde et France Télévisions, du Centre National de la Cinématographie et de l’Image Animée, le soutien de la Mission Centenaire de la Première Guerre mondiale et la participation du Ministère de la Défense, secrétariat général pour l’administration, direction de la mémoire, du patrimoine et des archives.
Le documentaire sera diffusé sur les antennes régionales du pôle Nord Ouest de France Télévisions la semaine du 11 novembre, première diffusion le samedi 14 novembre à 15h20.

Sources iconographiques : ECPAD – Agence d’Images de la Défense, Magnum, Getty

samedi 26 septembre 2015

Partie en Grèce au Théâtre la Bruyère

Solange hésite tous les soirs depuis le 16 septembre. Rester ou partir est un dilemme dont elle s'entretient avec le mur, parce qu'il n'y a guère que lui pour l'écouter.

Le mariage, nous dit Solange, c'est comme le Moyen-Orient, sans solution. La ménagère enchaine les vérités à coups de comparaison à l'emporte-pièce.

Ce récit d’une vie de femme a été écrit par un homme, Willy Russel, en 1988 et il demeure (hélas) furieusement actuel. La création a eu lieu avec succès l'an dernier en Avignon.

Solange aurait voulu ressembler à sa camarade de classe, Constance Dujardin. Jeune elle s'imaginait devenir hôtesse de l'air. Et voilà que lorsque sa copine Nicole lui offre un billet d'avion pour la Grèce elle freine des quatre fers.

Je ne sais pas pourquoi une femme de cinquante ans qui a tout juste le moyen d'exhausser son rêve ne part pas.

Elle connait la réponse : elle a peur de l'autre coté. s'il n'y a pas de place de l'autre coté du mur, je reste comme çà. Après tout, après une bouteille de rosé j'aurai l'impression d'y être.
Le public rit beaucoup. Ses images forcent l'empathie. Son mari n'a aucune qualité. Le constat est sévère mais il semble juste. L'homme s'affale à table tous les soirs à la même heure devant son assiette de steack frites.

Forcément, le soir où elle lui mitonne un oeuf sur le plat la crise est terrible mais elle aura le mérite de la pousser à passer de l'autre coté de la cloison.
Billet, argent, passeport, valise ... Solange devient la magnifique, la courageuse, griffonne un mot d'explication. Changement (radical) de décor. La voilà bel et bien en Grèce. Mais la situation n'est pas pour autant idyllique. C'est maintenant avec le rocher qu'elle entretient la conversation.

On la croyait tirée d'affaire mais rien ne s'est passé comme prévu. Ce n'est pas parce qu'on jette le tablier pour endosser un déshabillé de soie que tout change. Pourquoi porte-t-on en nous nos rêves de vie et qu'on n'en fait rien ? Quel gâchis !

Le public cette fois ne rit plus. Valérie Mairesse transmet beaucoup d'humanité dans son personnage.  En réussissant à nous divertir tout en faisant passer des messages à tonalité féministe sans sombrer dans la caricature. C'est avec soulagement qu'on la voit lutter pour continuer à exprimer tout son appétit de vivre. La happy end que je ne vais pas vous raconter mettra tout le monde d'accord.

Partie en Grèce démontre que le théâtre peut être populaire et de qualité.
Partie en Grèce de Willy Russel,
au Théâtre la Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris
mise en scène de Marie-Pascale Osterrieth
avec Valérie Mairesse
Du mardi au samedi à 19h depuis le 16 septembre 2015

jeudi 24 septembre 2015

La petite barbare d'Astrid Manfredi chez Belfond

Ce n'est pas un livre facile. Inutile de l'ouvrir si vous n'acceptez pas de vous dépouiller d'un surmoi judéo-chrétien bien pensant. Vue de loin la couverture évoque deux mains qui s'apprêtent à se refermer comme un étau. C'est vrai que La petite barbare ne vous lâchera pas.

Même si les propos sont souvent dérangeants la cause de l'héroïne est plaidée avec fulgurance.

On pense à Tout, tout de suite, de Morgan Sportès, inspiré par l'affaire du gang des barbares. Et on peut croire que cet auteur, qui avait auparavant écrit l'Appât, a fortement inspiré Astrid Manfredi.

Il n'empêche que la construction du roman, passant sans cesse du présent au passé, tout en évoquant le futur, est très habile pour éviter aussi bien le rejet que la compassion de bon aloi. La rage de vivre finit par forcer le respect. On lui donnerait presque les circonstances atténuantes.

A elle en particulier qui a enclenché une vie de faussaire qui reproduit les déceptions à l'infini. Mais aussi à tous ces grands fauves qui se gavent d'ultraviolence pour encaissser l'ineptie d'un monde fabriqué sans leur avis (p.52). Il y a quelques pages d'analyse sociale qui sont d'une justesse affolante.

On ne cautionne pas pour autant. Avoir regardé à vingt ans un mec se faire buter en fermant sa gueule après avoir fait du shopping chez Zara (p. 96) ça vaut sept ans de privation de liberté. Preuves à l'appui, elle est coupable. Faut payer.

Sa mère porte à longueur d'année une doudoune rose qui n'aura jamais vu la neige. Ça lui a forgé des goût de luxe à la petite, mais pas que. Ce qu'elle souhaite au bout de la taule c'est s'envoyer des granny smith et des chips goût barbecue avec une demi-bouteille de champ. Cela suffira. Les rêves ont évolué. Devenir libraire par exemple, aller voir la mer en Normandie, sans doute du coté des Roches noires, porter un chapeau et puis, si elle a de la chance, rencontrer celui qui lui fera oublier ce David qui a provoqué la goutte de larme qui a fait déborder la piscine du désespoir.

On s'endurcit au contact de la barbare et l'approuver : le romantisme c'est ne pas obtenir ce qu'on veut et pleurer. Une longue lamentation et le vide pour réponse. (p.77)

La rédemption s'effectue par la littérature. Parce que écrire c'est réel, même si c'est un rêve et qu'on peut en crever tellement on rêve. En premier lieu l'écriture de Marguerite Duras dont l'Amant agit comme un révélateur sur une plaque ultra sensible.

Le roman est traversé de citations explosives comme des comètes. Ce sont les mots de Henri Michaux, en exergue, de Boris Vian (p. 69), de Brecht (p. 65) ... Si fatigué soit Baal, Baal ne sombre jamais : Baal emmène son ciel avec lui vers en bas.

Même Jean d'Ormesson dont elle détourne la parole. Je suis plein du silence assourdissant d'aimer devient je suis pleine du bruit assourdissant de vivre. (p.134)

A défaut de changer le monde, La petite barbare a le pouvoir de nous faire réfléchir. C'est déjà ça. Et c'est très fort pour un premier roman.

Astrid Manfredi intervient ponctuellement pour le Huffington Post, dans son domaine qui est la littérature. Elle a créé le blog de chroniques littéraires Laisse parler les filles dont j'ai lu quelques chroniques. Je partage souvent son avis, par exemple sur Chambre 2 de Julie Bonnie, avec qui je lui trouve des points communs.

La petite barbare d'Astrid Manfredi chez Belfond, en librairie depuis le 13 août 2015.
Depuis la rédaction de ce billet le livre a obtenu le Prix Régine Deforges du Premier Roman 2016.

mercredi 23 septembre 2015

Comédie pâtissière d'Alfredo Arias à la Tempête

On pénètre dans la salle par le fond de scène, drapé de pendrillons bleus et blancs. Une méridienne immaculée attend les confessions, faisant le pendant à une table recouverte d'un drap blanc. Sur les cotés des reproductions de gâteaux plus fantaisistes les uns que les autres sont suspendus en guise de cloison. Le sol, noir, est constellé de confettis blancs. La fête a-t-elle eu lieu ou sommes nous attendus pour la vivre ?

La chanteuse fait son entrée sur un air de cha cha et des claquements de papinettes. Alfredo Arias suit et annonce une mise au point : les voiles sont trois drapeaux argentins (on avait deviné). Les confettis sont tristes. La chanteuse chante pour de vrai en direct.

Après cela, la Comédie pâtissière peut se jouer. Nous apprendrons que les inventions culinaires, totalement surréalistes, sont imputables à une certaine Dona Petrona dont on pourrait se demander si c'est un personnage de fiction ou une cuisinière qui a réellement existé.
La chapelle de mon village, l'épi de maïs, la ruche, le manège, le tambour, livre de prièresautant de recettes exigeantes, onéreuses et tarabiscotées nous dit Alfredo Arias à propos de cette femme dont il guettait les apparitions sur la télévision noir et blanc des années 50 de son enfance, pour survivre dans un cadre familial étouffant, au sein d'une patrie peroniste et pétroniste.
Tandis que sa mère s'acharnait à museler des penchants homosexuels qui la contrariait, la fée pâtissière de la dramaturgie influençait tout son univers plastique théâtral. Il la convoque chaque soir pour un dialogue imaginaire avec le fantôme de son esprit, ponctuée de chansons dont il insiste beaucoup à nous faire croire qu'elles sont toutes interprétées sans play-back par une "vraie" femme.

Alfredo Arias nous a habitué depuis longtemps à un théâtre biographique. Trio racontait la vie recluse de ses tantes paternelles. Il a poursuivi l'exploration de son enfance et ses retrouvailles avec son pays natal notamment avec Mortadela.  Il a suivi des années de psychanalyse, d'où le divan. Il a beaucoup de talent et on peut s'émouvoir de le voir interpréter lui-même son propre rôle, qui plus est dans cette salle Copi... On repense à sa première création à Paris au Théâtre de l’Epée de Bois avec Eva Perón de ... Copi qui deviendra son ami et dont il montera tant de pièces, La Femme assise, Loretta Strong, Les Escaliers du Sacré Cœur, Le Frigo et Cachafaz.

Cette comédie pâtissière est débridée, poétique, baroque. D'aucuns apprécieront cette conversation intime avec une infinie tendresse pour le clown blanc qui transforme encore ses misères en théâtre. D'autres, moins indulgents, pourraient demeurer imperméables au déroulé du fil de caramel mou, dur ou fondant de l'artiste, ne pas souhaiter ouvrir son four mental si pictural et en fin de compte pathétique.
Alfredo Arias a sans doute la perception du risque en nous suppliant aux saluts de rester enfants et de continuer à applaudir.

Comédie pâtissière
Texte et mise en scène Alfredo Arias
avec Alfredo Arias, Sandra Macedo, Andrea Ramirez
Espace scénique Alfredo Arias
du 18 septembre au 18 octobre 2015, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Michèle Laurent

mardi 22 septembre 2015

Celui qui tombe de Yoann Bourgeois au Monfort

Même pour quelqu'un comme moi qui connais l'univers de Yoann Bourgeois (et de Marie Fonte qui conçoit les spectacles avec lui) Celui qui tombe est un choc. Visuel bien entendu, mais pas que. Tous les sens du spectateur sont mobilisés de la première à la dernière seconde.

J'hésite à dire que c'est du cirque, parce que vous allez croire que ce sera difficile d'accès. J'hésite à  écrire que c'est de la danse parce que c'est aussi du théâtre, malgré l'absence de dialogues parlés. J'hésite à souligner que c'est de l'opéra parce qu'on va me traiter de menteuse alors que les chants qui sont interprétés en direct sont une prouesse et une occasion de nouvelles émotions.

Tout est remarquable. J'émaille le billet de photos parce que je sais qu'on ne croit que ce qu'on voit, qu'il faut des preuves ... Mais très franchement point n'est besoin d'être spécialiste du monde circassien contemporain pour vivre une soirée d'exception. Il suffit de regarder et de se laisser porter.

Après avoir fait chuter et voler ses acrobates sur L'Art de la fugue de Bach dans un spectacle précédent, Yoann Bourgeois leur demande de se tenir debout, du moins garder l'équilibre quand le sol peut à tout instant se dérober sous leurs pieds. Le geste est radical pour un cirque à la portée existentielle. La scénographie est un sol, un simple plancher de six mètres sur six mobilisé par différents mécanismes (l'équilibre, la force centrifuge, le ballant…) et qui pèse tout de même deux tonnes. La création a eu lieu en septembre 2014 à l'Opéra de Lyon.

Au commencement ce ne sont que quelques craquements dans un noir absolu à peine troublé par un flood. Le plateau semble descendre du ciel, s'incliner lentement tandis que s'égrènent les premières notes du deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven. C'est un Allegretto mais il véhicule une certaine angoisse à mesure que l'on devine les corps luttant contre l'apesanteur dans la pénombre. Ils glissent, se redressent. Le plateau devient un radeau sur des éléments déchainés.

La structure de bois remonte, redescend. La musique s'amplifie à mesure. Comment le bois peut-il souffrir ainsi ? On imagine que la structure se déforme ... La chorégraphie évoque quelque chose d'enfoui dans les souvenirs d'enfance, comme ces parties de 1, 2, 3, soleil que les gosses enchainent avec des séances de "chat glacé" ou de tentative d'imitation de Michael Jackson exécutant sa moon walk.

Tout s'arrête. Le théâtre s'offre à nos yeux sous un plein feu. Difficile d'avoir moins de décors, moins de costumes. et pourtant le dispositif est extrêmement sophistiqué, avec son vérin, ses filins, une motorisation décuplée revue pour s'adapter à la salle du Monfort.

Les six artistes nous dévisagent. A peine on les pense tirés d'affaire que maintenant ça tourne, et ma foi plus vite que le plateau des tasses de thé de Disneyland. Cà continue encore et encore. On en aurait le tournis. Ils partent à l'envers, se cramponnent, penchent dangereusement. Assise au deuxième rang je sens le souffle du déplacement d'air.
Ils se lèvent et ils se bousculent, ... mettant en actes les paroles de Comme d'habitude, le tube planétaire co-écrit en 1968 par Gilles Thibaut et Claude François, repris l'année suivante par Paul Anka, immense succès de Franck Sinatra ... My way. C'est comme une danse. Cela tient du mime et beaucoup d'émotions se lisent sur les visages et dans le jeu des regards. Une vraie prouesse quand on mesure qu'aucun ne peut jamais se reposer une seconde. Ils terminent tous à plat ventre à la fin. Tout s'arrête dans le silence.

On repart à l'envers. Le plateau, les artistes et la musique que l'on peine à reconnaitre. Le disque est rayé, les corps se disloquent. My way redevient audible. Ça recraque. Un son sourd, une vibration, une explosion. Ils tombent.

Piano. Tous solidaires sauf un d'un bateau en dérive ou d'une grande balaçoire. Maria Callas chante la Casta Diva de Bellini. La Norma est entêtante alors qu'ils se regroupent et qu'un seul s'échappe. Chacun au pied du mur en quelque sorte ... rejouant la scène finale au Mount Rushmore de la Mort aux trousses avant de revivre le mythe de Sisyphe en boucle et de nous faire craindre l'écrasement.

Les six artistes nous embarquent dans leur(s) monde(s) dans un corps à corps polysémique avec la structure. Et quand ils chantent a capella, tête en bas on pense qu'il ne sera pas possible de pousser la performance plus loin encore.
On les accompagne jusqu'au bout de leur singulier voyage en oubliant le danger. Et quand il n'en reste plus qu'un, pendant au-dessus du vide et continuant à lutter contre lui-même on se dit qu'il faut inventer des mots nouveaux pour leur signifier notre admiration.

Celui qui tombe cherche inlassablement la limite en lisière des jeux de vertige et des jeux de masques.

La compagnie est née il y a quatre ans. Cette petite équipe invente inlassablement des esquisses qui parfois deviennent des numéros. Je les avais découvert sautant sur d'époustouflants trampolines devant le château de Sceaux en 2013. J'avais moi-même fait l'expérience de la gravité en participant au spectacle l'année suivante dans le cadre du Festival Solstice. Et je suis devenue fan inconditionnelle de leur talent.
Celui qui tombe 
Conception, mise en scène et scénographie
Yoann Bourgeois, assisté de Marie Fonte
Interprètes : Jean-Baptiste André, Mathieu Bleton, Julien Cramillet, Marie Fonte, Elise Legros et Vania Vaneau
Jusqu'au 10 octobre au Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris puis en tournée en France jusqu'en avril 2016

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Géraldine Aresteanu

lundi 21 septembre 2015

Ma version du chili con carne

C'est un grand classique de la cuisine internationale et il m'arrive de l'acheter en conserve. C'est sans doute sans commune mesure avec une version "maison" mais d'une part je n'ai pas le savoir-faire, d'autre part pas de temps à y consacrer car l'envie de chili con carne peut être soudaine.

Par contre j'ai trouvé le moyen de l'agrémenter sans me compliquer la vie.

En ajoutant des petits oignons blancs ébouillantés.

Et surtout des petits pois juste décongelés, qui apporteront du croquant. Ils prendront un peu de température au moment du réchauffage. Cela suffira.
Enfin quelques olives noires dénoyautées pour la couleur.
Je réchauffe dans un des derniers nés de la gamme Ecoceram d'Appolia. Cette pâte céramique exclusive est élaborée à base d'argile et de kaolin breton. Elle a une très faible porosité, est résistante aux chocs thermiques et mécaniques. les émaux sont garantis sans plomb et sans cadmium. Son mode de fabrication en mono cuisson limite l'émission de gaz à effet de serre. Il a fallu deux ans de recherche avant de breveter le couvercle hermétique qui s'adapte parfaitement sur le plat de cuisson.

On peut donc cuire au four, laisser refroidir et ensuite conserver le contenu après avoir fait le vide. En effet, valve ouverte, le couvercle en polypropylène apposé sur le plat carré permet de chasser l'air, puis abaissée, elle garantit l'étanchéité de la conservation au réfrigérateur

J'aime particulièrement le "petit" format 218x177x72 qui est parfait pour faire la navette entre la maison et le bureau. Je réchauffe ce que j'ai préparé au micro-ondes, et je me régale en beauté puisque les coloris sont, comme toujours chez Appolia, singulièrement joyeux.

dimanche 20 septembre 2015

Architecture remarquable et journées du patrimoine à Bourg-la-Reine et Sceaux (92)

Qui dit Journées du Patrimoine évoque pour moi des queues interminables pour accéder quelques secondes à l'univers quotidien d'un ministre. Sans parler du bureau du président de la République ... Alors qu'il peut y avoir des bâtiments exceptionnels ouverts ce week-end là, facilement accessibles  près de chez soi, faisant éviter du même coup des transports en commun bondés.

C'est dans cet esprit que j'ai arpenté hier Bourg-la-Reine et Sceaux. Par le plus grand des hasards je me suis trouvée aujourd'hui à Paris en fin d'après-midi et j'ai visité, sans inscription préalable les jardins et le bureau du ministre de l'agriculture comme celui de la ministre du travail, m'arrêtant dans la salle où ont été signés les "accords de Grenelle".

Ces lieux illustres avaient été assaillis dès 6 heures du matin mais désertés aux alentours de 17 heures. Je vous donne le tuyau pour l'an prochain.
Après avoir vu la Villa Hennebique, nous jetterons un oeil à la collection de grès émaillés Dalpayrat puis nous traversons la Villa Jeanne d'Arc.
Nous irons ensuite à Sceaux voir deux maisons d'architectes, celle de Lurçat et celle que Paul Nelson a conçue en collaboration avec Fernand Léger.

samedi 19 septembre 2015

Visite du Moulin Richard de Bas (suite)

Il y a quelques jours je vous ai raconté la fabrication du papier chiffon. A l'aube des Journées du Patrimoine, il se pourrait que vous ayez envie d'aller visiter le Moulin Richard de Bas, le dernier dans le Massif Central à sortir encore quotidiennement quelques centaines de feuilles.

Profitez-en pour voit l'ancienne demeure de Monsieur Richard, qui possédait plusieurs moulins.

Ne manquez pas non plus le très beau film sur le Parc du Livradois-Forez, pays d’eau, de bois et de montagnes, qui tourne en boucle dans la salle adjacente à la billetterie. Il témoigne d'industries très spécialisées. On y apprend par exemple que Thiers n'a pas que les couteaux pour spécialité amis aussi les cartes à jouer.

L'emblème des papetiers était pourtant souvent un coeur. celui du moulin est un coeur doublement barré. On le retrouve sur le tamis métallique, composé de fils de laiton parallèles dont la trace sera vue par transparence.
Le papier vergé est un papier qui laisse apercevoir par transparence ces fines lignes parallèles horizontales dans l'épaisseur du papier. C'est ce qu'on appelle le filigrane.
Elles sont laissées par les vergeures et les fils de chaîne (fils de couture qui fixent la vergeure aux pontuseaux) qui sont les fils en métal qui forment le tamis avec lequel est fabriqué le papier tandis que les pontuseaux sont les baguettes de bois qui soutiennent les vergeures et les fils de chaîne. En Angleterre on fait la forme velun, plus opaque parce que les fils sont en cuivre.
L'ancien logis de Richard de Bas est typique de l'habitat des XVIII° – XIX° siècles. Il n’est plus habité depuis 1937. Il n'est composé que de deux pièces : la salle commune qui faisait office de salle à manger et une seule chambre à coucher. Mais l'une et l'autre sont vastes pour accueillir la famille entière et les apprentis.
Le portrait du maître trône dans la salle à manger. Il a été mystérieusement assassiné en 1795. l'industrie du papier s'exerçait alors dans un halo de secrets ... D'ailleurs on travaillait de minuit à midi de manière à ce que le mystère demeure caché.
On trouve dans la première pièce les meubles et objets du quotidien. A commencer par une grande table où l’on était assis à califourchon, c’est-à-dire de profil. Au bout de celle-ci le tiroir mal refermé contenait le pain. Contre le mur d'en face on remarque une maie, sorte de caisson rectangulaire soutenu par quatre pieds, dans laquelle on conservait la farine et qui servait aussi de pétrin, pour la fabrication du pain. Son plateau mobile à charnières servait de plan de travail.
Les portes en noyer sont classées à l’inventaire. L’horloge a été fabriquée à Ambert. On remarque dans la cheminée une grosse marmite pour cuire la soupe. Elle est pendue à une crémaillère, d'où l'expression signifiant emménager car c'est le dernier objet que l'on place dans une maison. Le sel était à portée de main, et surtout protégé de l'humidité dans une petite niche.

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vendredi 18 septembre 2015

Des mots jamais dits de Violaine Bérot chez Buchet Chastel

Il était une fois une vilaine petite fille qui venait de naître ... Ce sont les premiers mots de Violaine Bérot. Avec une telle entrée en matière Des mots jamais dits est un récit qui s'inscrit dans l'univers du conte.

On pense immédiatement au vilain petit canard, sans doute à cause du terme "vilain" qui renvoie non pas à une véritable laideur (qui serait un handicap) mais à une différence qui pourrait bien être un signe positif. Le petit canard d'Andersen devient un cygne majestueux ...

Aux yeux du père l'enfant est une princesse. Ce sera plus tard la bonne fée qui veillera sur la mère. Et on pensera aussi au Petit Poucet où la cohorte de frères et soeurs grandit avec une régularité incroyable (p.17).

Le roman fouille la relation d'amour qui unit le père et la mère : déraisonnable, vertigineux, enragé. Même les contes de fées n'oseraient imaginer que l'on puisse à ce point aimer (p. 18). Ce sont surtout les conséquences de l'ouragan qui ne sont jamais explorées et que l'auteur va tenter de faire partager au lecteur.

La jeune femme tente de s'émanciper de cette famille où personne n'est nommée, coincée entre le père, la mère, ... et surtout ce "on" ... indéfini, singulier ou pluriel qui observe, écoute, commente, juge, interroge ou désapprouve les uns et les autres, semblant avoir le pouvoir d'orienter le cours des choses.

Un terrible secret à peine voilé se faufile entre les lignes, jusqu'à la dérobade, parce que l'on craint de ne savoir trouver les mots pour la dire (p.143). Chacun le comprendra à sa manière, et surtout en fonction du terreau affectif dans lequel il a grandi. Nul ne guérit de son enfance, chantait Jean Ferrat.

Des mots jamais dits est un livre troublant, violemment intime, qu'on ne lâche pas facilement. Et je remercie Annie pour ses notes de lecture.

Violaine Bérot est d'origine pyrénéenne, son grand-père était montagnard. Après avoir travaillé dans le domaine de l'informatique elle est revenue dans la région et élève des chèvres et des chevaux en Ariège. Écrivain, elle compte à son actif 5 romans avec : Jehanne et Léo et Lola (éd. Denoël), Tout pour Titou (éd. Zulma, rééd. Lunatique), Notre Père qui êtes odieux (éd. Baleine) et Pas moins que lui (éd. Lunatique).

Des mots jamais dits de Violaine Bérot chez Buchet Chastel, en librairie le 20 août 2015

jeudi 17 septembre 2015

Le bizarre incident du chien pendant la nuit mis en scène par Philippe Adrien

On dirait des gamins en récréation dans une cour d’école. Ils dansent. Puis petit à petit disparaissent les uns après les autres alors qu'un grondement enfle, me faisant douter de l’arrivée d’une rame de métro. Pourtant je ne rêve pas, la ligne ne passe pas sous le théâtre ... Brouillard ... Emerge une femme appuyée sur une bêche entre les dents de laquelle on devine un chien. Il s'appelle Wellington et il est mort.

- Qu'est ce que t’as fait à mon chien ?

Christopher se trouve au moment endroit. Il va refuser d'avouer le forfait au policier qui porte le casque des bobbys londoniens, soutenu par son père, au premier abord bienveillant, quoique pragmatique.

Je m’appelle Christopher. J’ai 15 ans, 3 mois, 2 jours. Je dis toujours la vérité. 

Evidemment l'interrogatoire se poursuit et le garçon se débat comme il peut parce que sa logique n'est pas commune.

Je trouve que les gens m’embrouillent (...) Je ne savais pas que j’allais m’attirer des ennuis. Je vais trouver le coupable.

Et le voilà qui se livre à ce qu’il appelle ses investigations. A grands coups de pourquoi et  d’énumérations.

Je connaissais le roman de Mark Haddon. Il avait fait grand bruit parce qu'il témoignait combien un jeune autiste pouvait se révéler d'une intelligence hors normes. Ecrit pour la jeunesse il transmettait un formidable message d'espoir. L'adapter pour le théâtre était périlleux même si c'est un grand succès sur une scène londonienne depuis des années. L'exercice est une réussite totale et je peux affirmer que Le Bizarre incident du chien pendant la nuit est un des meilleurs spectacles que j'ai vu au cours des vingt dernières années.

Le texte est magnifique. Parfois subliment poétique avec des fulgurances comme celle-ci, notée au hasard : La pluie fait comme des étincelles blanches. Parfois extrêmement sophistiqué comme lorsque Christopher explique pourquoi les étoiles brillent, parce qu’elles bougent plus vite que la lumière. Elles continueront tant que le monde sera en expansion.

On connait le talent de Philippe Adrien pour la direction d'acteurs. Plusieurs scènes atteignent des sommets. On se souviendra longtemps de l'interprétation du père (Sébastien Bravard), avec des trémolos discrets dans la voix. Mais aussi par exemple de la scène d’explication entre Christopher et sa mère (Nathalie Vairac que l'on avait tant aimée dans Boesman et Léna la saison dernière, comme Tadié Tuéné qui interprète ici plusieurs rôles).

Tout participe à faire apprécier la soirée. Les décors conçu par un fidèle, Jean Haas, fonctionne à merveille. Avec le parti pris minimaliste de deux murs qui se font face de part et d'autre d'une pelouse et de quelques tabourets il parvient à recréer tous les endroits où l'action se déroule, lotissement, jardin, école, grande ville, y compris un quai de métro pour une scène mémorable au cours de laquelle Christopher veut récupérer son animal de compagnie, un rat, et où le spectateur est dans la plus pure illusion. Jusqu'au rappel dont je ne vous dévoilerai pas le contenu mais qui est lui aussi parfaitement orchestré.
Plusieurs scènes marqueront le spectateur, comme aussi celle de la construction d'un circuit de train en modèle réduit. Ou, juste avant et dans un style très différent, le jeu de chaises musicales avec des tabourets renfermant des pièces à conviction sous leur couvercle.

Les lumières de Pascal Sautelet sont les coups de pinceaux qui donnent vie à des espaces complètement crédibles et la vidéo (Olivier Roset) est totalement juste.

Le spectateur ne perd pas un mot du déroulement de la pensée de Christopher qui, en bon fan de Sherlock Holmes, va mener une enquête qui lui fera découvrir bien plus que le meurtrier du chien de sa voisine. En s'attaquant aux secrets de famille, son parcours est un récit initiatique qui nous en apprend beaucoup sur l'âme humaine.

Parce qu'il est capable d'expliquer les phénomènes mathématiques les plus complexes mais qu'il bute sur les ressorts de l'âme humaine ses raisonnements font écho à nos propres interrogations. A ce titre le personnage de Shiobhan (Juliette Poissonnier), en sa qualité de narratrice est essentiel comme médiatrice entre le jeune homme et l'univers.
La pièce est aussi une réflexion sur le théâtre puisque se joue aussi une reconstitution où tout le monde participe et joue un rôle même si pour Christopher Jouer au théâtre c’est une sorte de mensonge.

Chacun est parfait dans son rôle. A commencer par Pierre Lefebvre qui incarne le jeune autiste avec force et vitalité, sans trop en faire et jamais nous entrainer dans le pathétique. Il est confondant de sensibilité avec naturel. C'est un des miracles du (grand) théâtre. L'acteur que l'on a déjà vu dans de précédentes mises en scène de Philippe Adrien ira très loin, cela ne fait plus de doute. Le père peut être fier du fils. A ce stade c'est encore un degré supplémentaire de théâtre dans le théâtre.
Un mot de la chorégraphie signée par Sophie Mayer et qui, à l'instar de la vidéo, est une des composantes essentielles du spectacle.

En sortant de la Cartoucherie on aura grandi en humanité et on pourra méditer une des dernières répliques : On n’est pas si différent que ça toi et moi ! Et si quelques réfractaires n'ont pas encore complètement intégré le théorème de Pythagore ils pourront revenir pour une séance de rattrapage. Le bizarre incident du chien pendant la nuit mérite d'être vu plusieurs fois.
Le bizarre incident du chien pendant la nuit d’après le roman de Mark Haddon
mise en scène Philippe Adrien
texte français Dominique Hollier
avec Pierre Lefebvre, Juliette Poissonnier, Sébastien Bravard, Nathalie Vairac, Bernadette Le Saché, Mireille Roussel, Laurent Montel, Laurent Ménoret et Tadié Tuéné.
décor Jean Haas, lumières Pascal Sautelet
vidéo Olivier Roset
musique et son Stéphanie Gibert
costumes Cidalia Da Costa
chorégraphie Sophie Mayer
Du 11 septembre au 18 octobre 2015 à 20 heures, le dimanche à 16 heures
Reprise du 20 avril au 28 mai 2017
du mardi au samedi 20h, le dimanche 16h 
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Antonia Bozzi.

mercredi 16 septembre 2015

Tout ce qu'on peut cuisiner (aussi) avec la Clairette de Die

On m'a dit Clairette, j'ai pensé Blanquette. Autant dire que j'ai confondu deux villes qui produisent chacune un vin pétillant mais qui emploient une méthode différente, et surtout des cépages qui ne se ressemblent pas. Le résultat est donc radicalement différent. Et pour tout vous dire j'ai beaucoup aimé (avec modération quand même) la Clairette de Die dont l'arôme de muscat, de fruits et d'agrumes est inoubliable. Mea culpa.

Ce vin est déjà parfait sans aucun ajout. La couleur ivoire de sa robe surprend. La finesse de ses bulles est irréprochable. Son parfum le rend spécialement agréable. Le raffinement se confirme en bouche raffiné, avec des notes de fleurs blanches, de litchi et de rose. A boire jeune à la température idéale de 5°. Avec quelques noix si on souhaite déguster locavore.

Peut-être parce que le vignoble s'épanouit sur de petites parcelles, sous le soleil généreux de la vallée de la Drôme, à l'abri des puissants contreforts du Vercors. Valence se trouve à 60 kilomètres à l’Est en allant vers Grenoble, et avec 300 jours de soleil par an ce vignoble bénéficie d’une situation exceptionnelle bien qu’il soit un des plus élevés d’Europe en altitude, entre 450 et 800 mètres. Il n’est pas rare d’apercevoir les vignes au milieu des lavandes.

Sur ce terroir, les vignerons Jaillance portent un soin tout particulier au travail de la vigne et vendangent le raisin à la main. L’assemblage est une harmonie de deux cépages : le muscat blanc à petits grains et la clairette blanche, qui a donné son nom au résultat final qui est reconnue Appellation d'Origine Contrôlée depuis 1942.

Le vin est vinifié selon la méthode dioise ancestrale qui suit le processus : Vendanges, réception, pressurage et filtration du raisin, fermentation partielle en cuves réfrigérées, assemblage, tirage et prise de mousse, dégorgement, tirage et habillage. Ce qu'il faut retenir c'est qu'on ne rajoute rien à aucun moment.
Au moment de l'apéritif, les invités ont pris l'habitude de choisir parmi un large éventail de propositions allant de la bière au cidre qui est de plus en plus présent en petites bouteilles (parfois aromatisées) dans les grandes surfaces. On sait que les vins pétillants sont de plus en plus appréciés et consommés. Il était donc logique que Jaillance adapte le format de sa Clairette de Die tradition.
La voici donc qui débarque en "petite", malgré tout strictement identique à la grande. Avec le même degré d'alcool, 7,5% qui en fait une boisson relativement peu alcoolisée comparativement aux apéritifs plus "traditionnels".

Jean-Louis Bergès, directeur général de Jaillance nous a appris que le cocktail en vogue à New York s’appelle So fresh. Il consiste à verser de la Clairette de Die sur de la glace pilée dans un verre piscine et de servir avec 2 framboises et 2 feuilles de menthe pour libérer les arômes de rose et de litchi du vin.

A l'instar de la bière qui investit de plus en plus le domaine des cocktails on peut songer à la Clairette de Die pour créer l'effet de surprise. C'est ce à quoi Marc s'est employé ce soir à l’Atelier des Chefs Penthièvre où j'ai appris avec lui deux recettes.
Le Péché originel

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