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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 4 août 2016

Les Estivales de Bussang (Vosges)

Il y a le festival d'Avignon ... et il y a Les Estivales de Bussang. Le premier, qui n'est pas historiquement le plus ancien, a toutes les faveurs de la presse et de la foule. Le second draine un public plus initié et pourtant plus populaire.

La volonté de Maurice Pottecher (1887-1960), fils d'industriel vosgien, journaliste, écrivain, metteur en scène (et mari d'une actrice) est encore respectée à la lettre dans ce Théâtre du Peuple qu'il a fondé en 1892 dans une clairière de la propriété de ses parents, classé Monument Historique depuis 1976.

Dans ce premier article je vais, pour ceux qui l'ignore, retracer la fondation du théâtre, en donner les règles de création et la programmation de cette année. Je mettrai aussi l'accent sur la façon que l'on a de vivre le moment.

Pour terminer je parlerai de deux spectacles qui sont à l'affiche en ce moment, Macbêtes et Lady First. Demain sera consacré à Shakespeare avec Mon coeur pour un sonnet et Le Songe d'une nuit d'été.

On dit qu'il faut avoir, une fois dans sa vie, vécu l'expérience d'une soirée sur les bancs de bois de la salle mythique dont le fond de scène s'ouvre sur la forêt, qui devient alors partie intégrante du décor. C'est vrai, à ceci près que le virus sera immédiat et que l'on souhaitera participer au rituel les années suivantes.

Pour la beauté du site, l'amour du théâtre, la convivialité des rencontres, l'ambiance !

C'est pourtant un endroit assez perdu au fond d'une vallée qui intéresse a priori plus des randonneurs aoutiens ou les skieurs en hiver. Les hôtels y sont vastes et conçus pour accueillir les familles nombreuses et les groupes.

La météo y est variable et il est prudent, même en plein été, de prévoir la doudoune ... et le parapluie. Qu'importe, le public sera là. Prêt à suivre le programme en se réchauffant entre deux représentations d'un bol de soupe. Prêt aussi à lézarder dans un transat au premier rayon de soleil.

Et surtout disposé à vivre ensemble des moments de partage essentiels.
Une idée toute estivale pour profiter pleinement des lieux : jumeler avec un Pique-Nique Insolite dans la clairière.

Pour accéder au contenu de l'article, cliquez sur "plus d'infos" et pour voir les images plein écran il suffira d'ouvrir la première et les autres suivront.


Un théâtre résolument populaire qui est aussi un Centre d'art et de création
Maurice Pottecher est l'instigateur de ce théâtre et sa mémoire est entretenue dans toute la petite ville de Bussang par un parcours installé en 2015 sur la commune.
On y rappelle que l'homme est issu d'une familles d'industriels installée à Bussang. Ne subsistent de l'ancienne usine Pottecher, désaffectée depuis la fin des années 1990, que deux bâtiments ainsi que les anciens bureaux que nous longeons pour aller au théâtre sans y prendre garde

L'oeil est davantage sollicité par la verdure et le sourire des bénévoles qui, à cet endroit, orientent vers le parking. L'usine avait été créée par le grand-père de Maurice pour y fabriquer des étrilles pour les chevaux, vendues dans le monde entier. Puis des couverts en fer battu. Son fils Benjamin a été maire de Bussang. Il améliora considérablement des conditions de travail de ses ouvriers, ce qui lui valut le surnom de Patron Rouge.
Maurice nait en 1887, fait ses études à Paris, devient journaliste et écrivain. Il épouse Camille de Saint-Maurice, actrice réputée qui va l'initier aux enjeux d'un théâtre d'art à vocation humaniste. Il fait jouer en 1892 le Médecin malgré lui de Molière sur la place du village, avec des paysans, ouvriers et habitants. Le succès l'encourage à réitérer trois étés de suite mais sur une grande scène de bois. Il faut savoir qu'à l'époque Bussang comptait 3000 habitants (la moitié aujourd'hui).

Il écrit pour l'occasion sa première pièce, Le diable marchand de goutte, un drame rural dénonçant les méfaits de l'alcoolisme. Deux mille personnes de toutes conditions assistent à l'unique représentation donnée en plein air. Le Théâtre du Peuple de Bussang était né, et il ne faillira pas pour présenter chaque été au moins une création originale rassemblant professionnels et amateurs (sauf les années de guerre).


Mort le 16 avril 1960, Maurice, que l'on surnommait le Padre, repose au fond du parc, dans la Clairière aux Abeilles et face au Théâtre, sous cette humble pierre, avec son épouse, Tante Camm, décédée trois ans plus tôt.
Maurice Pottecher ramena d'Athènes une pierre du théâtre de Dionysos et la fit sceller dans le muret d'avant-scène de son théâtre. La référence au théâtre antique est fondatrice pour celui qui réfléchissait à un renouveau de l'art dramatique (nourri aussi de sa lecture de Michelet et de ses conversations avec son ami Romain Rolland). A défaut du soleil de Grèce c'est au contact de la forêt que le théâtre trouvera ici sa régénérescence, loin des futilités de la capitale, au milieu d'une simple carrière, au plus près de la vraie Nature, sur laquelle s'ouvre la scène. Son obsession d'une salle où tous les spectateurs seraient démocratiquement placés face à la scène, réunis dans une même communion de pensée et d'émotion, doit aussi sûrement à l'influence du temple wagnérien de Bayreuth et son immense amphithéâtre.
Le Théâtre du Peuple a été bâti par ajustements successifs, grâce au savoir-faire des artisans locaux. C'est en 1924 qu'il trouve sensiblement sa forme actuelle : une immense grange au plafond en coque de bateau renversé; une vaste scène chapeautée d'une haute cage permettant les jeux de décor, et fermée au fond par de lourdes portes coulissantes; une salle légèrement pentue avec ses bancs parallèles, et ses tribunes surélevées au fond. La croix de Lorraine en guise de protection. Et le simple bois de sapin partout.
Maurice écrira une cinquantaine de pièces. Il aurait aimé que son fils Jean prenne la suite mais celui-ci, pacifiste convaincu et ami de Jaurès, s'engagea comme infirmier pendant la Première Guerre Mondiale durant laquelle il perdit la vie.
Maurice confiera en 1918 la direction artistique à un ami de son fils, Pierre Richard-Wilm qu'il désignera comme son fils spirituelPierre-Richard commencera modestement avec un petit rôle, montera à Paris, deviendra metteur en scène et éblouira chaque été les spectateurs. Pierre se retirera de la scène en 1959 mais continuera à oeuvrer pour Bussang jusqu'en 1972. Sa passion pour ce théâtre aura duré 60 ans.
Propriété privée, le Théâtre du Peuple, classé Monument historique depuis 1976, a été racheté par l'Etat en 2005, ce qui a permis d'importants travaux de mises aux normes et d'apports techniques. Il abrite durant toute l'année une équipe permanente réduite. C'est en été qu'il déborde d'activité pour offrir des créations théâtrales selon la devise de 1896 de Maurice Pottecher : Par l'art, pour l'humanité qui figure au fronton au-dessus de la scène tandis que son nom, Théâtre du Peuple est très visible que l'on rentre coté Jardin ..
... ou coté Cour.

Une expérience humaine, artistique et festive
La route menant au théâtre est plutôt calme et bucolique. C'est une ancienne voie romaine qui fut route royale venant de Saint-Maurice. Ces quelques centaines de mètres que l'on effectue à pieds mettent en condition pour vivre un moment rare d'expérience humaine, artistique et néanmoins festive.
On arrive alors sur un autre territoire, dans un ailleurs à la fois proche et lointain. Où le but est que chacun soit à l'aise, sans être intimidé par "la chose culturelle" même (et surtout) si l'on est novice. La programmation est conçue pour qu'on puisse enchainer les spectacles sur une journée. Ceci étant il me semble que deux à la suite est largement suffisant.
Tout le monde partage les mêmes tablées, en extérieur comme à l'abri, près du bar où s'alignent les assiettes de charcuteries et de fromages, puis les tartes aux brimbelles, comme on appelle les myrtilles dans les Vosges, vous savez, ces petits fruits noirs et juteux que l'on cueille en passant les buissons au peigne ... pas si fin.
Le bar est ouvert de 11h à minuit tous les jours de représentation. Le soir, l'affluence est encore importante longtemps après la fin du spectacle depuis que Christopher Rauck (directeur de 2003 à 2006) poussa plus loin la métaphore marine en faisant installer une voilure. Cette protection contre le grand soleil comme la pluie est une bénédiction. A tout moment on peut discuter avec les comédiens ou le directeur, Vincent Goethals qui se rendent disponibles.
Par contre si vous voulez un bol de soupe il ne faut pas tergiverser. Le bar à soupe de Marie-Christine est vite à sec et quand il n'y en a plus ... il n'y en a plus.
Un ancrage territorial très fort pour rendre le théâtre plus accessible
Il y a eu d'autres expériences de théâtre populaire mais seul Bussang est resté et continue d'attirer un public nombreux et diversifié. C'est le fruit d'un travail au long cours, dont le but demeure de plaire et d'instruire en alternant les genres.

Bussang est à un carrefour entre Alsace, Lorraine et Franche-Comté. Aussi l'équipe propose tout au long de l'année aux trois régions des ateliers (gratuits et ouverts à tous), et des formes théâtrales singulières, dans l'esprit du Théâtre du Peuple, privilégiant la proximité, la rencontre et l'échange.

C'est aussi un lieu d'accueil pour ceux qui veulent venir répéter avec leur compagnie, organiser un séminaire, ou encore visiter la région avec leur association. Il peuvent louer la Popote (de septembre à mi-avril selon disponibilités), ancien relais de Poste qui avec 21 chambres double, 2 salles à manger, 1 salle de répétition ou de réunion et 1 cuisine professionnelle, devient un vrai lieu de vie.
C'est là que l'équipe au complet (près de 100 personnes au plus haut de la saison) vient déjeuner et dîner chaque jour.

En fait le Théâtre vit toute l'année, même si les Estivales sont d'une intensité particulière. Et désormais des Hivernales se déroulent à la soit-disant "morte" saison.

Les fondamentaux du Théâtre du Peuple 
Chaque metteur en scène convié à faire une création à Bussang doit satisfaire 4 éléments essentiels:
  1. proposer une oeuvre de qualité
  2. qui s'adresse au public le plus vase possible
  3. qui associe des amateurs et des professionnels
  4. dans un bâtiment théâtral d'exception
Avec une 5ème composante autour du bénévolat qui est une donnée historique. Les proches de Maurice Pottecher, ses amis, sa famille et les habitants ont tout de suite aidé à la réalisation de ses projets. Aujourd'hui, les bénévoles viennent de toute la France entière pour faciliter l'accès au parking, servir au bar, accueillir les spectateurs. Ils sont près de 200 et sans eux le théâtre ne pourrait pas fonctionner.
Les spectacles de l'édition 2016
Macbêtes, les nuits tragiques, par le Théâtre de la Licorne
Margaux appelle avec son cor, les spectateurs à traverser le parc et à se regrouper sous le velum avant de passer au contrôle (plan Vigipirate exige). Ce spectacle a lieu dans la petite salle (dite aussi Camille de Saint-Maurice, du nom de l'épouse de Maurice Pottecher). La météo est, comment dire ... , automnale mais les gradins sont étroits et on s'y tient chaud serré. Les habitués se reconnaissent à leur coussin qu'ils tiennent serré contre eux et dont le motif signale leur fidélité.

Macbêtes se joue les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 4 au 27 août à 18h30 et il s'agit de ce qu'on appelle le Théâtre d’objets. Le texte, écrit par Arthur Lefebvre, fait référence au Macbeth de Shakespeare. La pièce a été créé à Roubaix il y a 16 ans mais sa venue est légitime puisque Le songe d'une nuit d'été est donné dans la grande salle.

Il y a une voire deux raisons supplémentaires, nous confie Vincent Goethals. Claire Dancoisne, metteur en scène et scénographe est une vieille amie picarde, mais surtout qu'elle avait mis en scène les encombrants font leur cirque qui avait été un très grand succès sur la grande scène du théâtre du Peuple en 2012.
Quelques insectes aux formes gigantesques (créés par les très inventifs Patrick Smith et Maarten Janssens) nous ont accueillis avant notre entrée dans la salle. Le plateau est occupé par un établi et un dispositif d'outillages qui tient plus de la torture que du bricolage du dimanche.

Les spectateurs ne semblent pas désarçonnés. Ils sont, comme toujours à Bussang a priori enthousiastes, et il suffit de saisir des bribes de conversation pour comprendre que ce sont malgré tout des avertis, qui n'ont rien à voir avec les spectateurs parisiens souvent plus en situation de se montrer que de venir assister à un spectacle.
C'est, comme dans la pièce de Shakespeare, l’histoire d’un couple diabolique. D’un général (Maxence Vandevelde) et de son égérie (Rita Burattini), prêts à tout, même et surtout aux pires exactions, pour conquérir un pouvoir qu’ils voudraient éternel, absolu, sans conteste. 
Tout commence par un meurtre. Sanglant. Prémédité. Et la prise du pouvoir. Un pouvoir usurpé, cruel, despotique et aveugle. Fragile aussi. Trop fragile. Ils le savent. Se débattent. S’enferment dans un cercle infernal. Frappent, ordonnent, exécutent sans vergogne. Et finalement se perdent. Dans la folie et dans la mort. Tel est Macbêtes, comme un polar au royaume des insectes. Tragique et dérisoire.

Les comédiens portent un masque qui rigidifie leurs attitudes et pourtant on ressent parfois de la douceur quand résonne par exemple un air de valse. C'est peut-être l'actualité qui nous a marqués, mais les paroles résonnent curieusement et on se sent soudainement très concernés : Qu'on ferme les frontières et qu'on instaure le couvre-feu. Macbeth l'ordonne !
On est troublé, étonné et ... on entre (ou pas) dans cette forme de jeu si peu habituel même si j'ai retrouvé une atmosphère comparable à celle qu'instaure une autre compagnie de théâtre d'objets, la Tabola Rassa qui m'avait éblouie par la créativité et la justesse de l'Avare.

A 18h30 les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 4 au 27 août 

Lady First
Pour les spectacles dans la grande salle le public est invité à rejoindre la file, à jardin ou à cour selon que leur numéro de place est pair ou impair. Car cette salle est numérotée même si tous les bancs sont équivalents, et il est conseillé d'apporter son coussin (ce n'est pas une plaisanterie, c'est d'ailleurs à ce détail qu'on reconnait les habitués, les novices peuvent acheter sur place l'objet millésimé).
Vincent Goethals présente le spectacle de l’auteure franco-turque Sedef Ecer comme une sorte d’écho à l'actualité bien qu'elle s'en défende quand on discute de la pièce avec elle. D'abord parce que son écriture a commencé il y a longtemps ensuite parce qu'un coup d'état n'a rien à voir avec un soulèvement populaire.

Il faut voir la pièce comme une farce politique centrée sur une première dame d'un régime autoritaire en pleine révolution, et qui pourrait être n'importe où dans le monde, même s'il est situé dans un pays imaginaire du Moyen-Orient, me dit Sedef Ecer qui refuse (évidemment) de s'exprimer à propos de la Turquie, un pays qu'elle connait très bien et qui était le cadre de son précédent spectacle, A la périphérie.

Sedef Ecer a commencé en 2012, sous la forme d'une courte pièce de 10 minutes, écrite à l'invitation de Vincent pour Bussang, au moment ou Léa Trabelsi venait de quitter son palais de Carthage, ce qui était l'actualité à l'époque. et qui a été revue en 2015 pour le festival du Paris des Femmes. La pièce s'est allongée, s'appelle alors First Lady et est jouée avec une unique interprète, Agnès Jaoui. Le texte  qui est donné à Bussang a été publié à l'Avant-scène théâtre.

Elle a repris la trame et l'a retravaillée pour en faire une tragédie farcesque, comme le lui demandait Vincent Goethals, en s'inspirant de plusieurs "premières dames" dont  l'impératrice byzantine Théodora, Roxelane, favorite du sultan Soliman, Messaline, la mère de Britannicus, Frédégonde, Josephine, épouse de Napoléon, Marie-Antoinette, Eva Peron ... tellement  de femmes ont utilisé les hommes de pouvoir pour gravir les échelons, et devenir star, comme on dirait aujourd'hui, d'où l'inversion du titre en Lady First.

L'auteure adulait le star-system dans son enfance et le goût de raconter des histoires lui est venu très tôt. Par contre elle n'a pas de réelles motivations féministes, ayant toujours évolué dans un milieu où la femme a autant droit à la parole que l'homme.
Nous sommes dans une république bananière dirigée par un vieux despote quelque part dans l’ancienne Mésopotamie. Alors que la Première Dame est en vacances dans le palais d’été, loin de la capitale et de son Président de mari, une résistance s’organise dans les rues et se propage. Tout le monde attend le discours du Président, mais il reste introuvable. Le Ministre de la Propagande,  décide qu’on se contentera de la First Lady pour calmer le peuple. On embauche alors Yasmine, une journaliste locale spécialisée dans les kermesses, car on n’a rien d’autre sous la main.
La First Lady est en direct sur la chaîne nationale. Elle enjolive sa vie de femme, d’épouse de président et de mère. Elle parle de son combat pour les droits de l’homme, mais aussi de ses garde-robes et de son zoo qui abrite des animaux rares. Petit à petit, le vent tourne, la résistance se propage, ministres et conseillers changent de bord.
Au fur et à mesure que les dépêches arrivent, le discours de la Première Dame se transforme. De plus en plus seule, elle n’a plus qu’une obsession : partir en sauvant ses lingots, ses tableaux de maître, ses bijoux et ses dossiers compromettants. Impossible de trouver un pays qui veuille bien l’accueillir. Même le Falcon présidentiel est parti avec ses enfants qui, eux aussi, l’ont trahie.
Autour d’elle, ne restent plus que son chef de cabinet, Elish, son (sa) conseiller(ère) personnel(le), Gazal, les animaux de son zoo et cette jeune journaliste qui finira par se révéler toute autre...
D'abord il faut reconnaitre que le principe fondamental de Bussang a été respecté avec l'intégration, sur les écrans de scènes qui ont été tournées avec des comédiens amateurs (pas que puisque Vincent Goethals lui-même joue le rôle du Président). C'est de mon point de vue très réussi parce que les maquillages (très beau travail de Catherine Nicolassème) installe le doute (combien sont-ils ? est-ce la même personne qui interprète tous les rôles ?) et instaure une sorte de vision kaléidoscopique du pouvoir, comme si les protagonistes se multipliaient à l'infini. Il serait dommage de supprimer ces séquences dans les versions ultérieures.

C'est aussi une manière astucieuse de montrer un choeur antique avec modernité. La mise en scène colle à l'écriture en usant toutes les manières que nous avons de raconter des histoires, à coups de flash-backs, d'introspection et d'actions sur les réseaux sociaux.

Tous les acteurs sont excellents, amateurs comme professionnels. Et si le spectacle provoque quelques moues c'est surtout dans la frange du public qui, loin d'être populaire, se targue de savoir ce qui est in de ce qui ne l'est pas. Les autres ne boudent pas leur plaisir et je les ai même entendus dire qu'ils assisteraient bien à une seconde représentation.
Le décor, conçu par Fred Vaillant est un dispositif assez simple, une structure à deux étages avec une omniprésence de l'outil video. Trois écrans sont disposés au niveau inférieur. L'image peut se multiplier, se fissurer, faire loupe, révéler des incrustations ou faire défiler des tweets. il en résulte un effet un peu semblable à ce que nous avons en face de nous quand nous montons un film avec un logiciel de type i-Movie (pour ceux d'entre nous qui savent l'utiliser). On a le sentiment que l'histoire se construit en live sous nos yeux, alors qu'il n'en est rien, bien sûr. Tout est préparé d'avance, comme dans le déroulé de la pièce.

Le revers de la médaille est qu'il contraint les comédiens à sans cesse monter et descendre, ce qui parfois devient lassant.

Ishtar (Anne-Claire) est la femme d'un dictateur qui vient de s'enfuir. Rien ne dit qu'elle en a été amoureuse. Elle est probablement trop autocentrée pour éprouver des sentiments. Elle s'est mariée pour le pouvoir, celui d'obtenir tout ce qu'elle souhaitait, sur le plan matériel. Jusque là elle a plutôt réussi même si sa soif est intarissable. Elle n'est pas une femme spéciale mais elle est tout de même un peu naïve. D'autres avant elles ont eu un parcours semblable de star fucker comme le dit Elish, (Bernard Bloch) un prédateur de bas-fond, homme-scorpion des légendes sumériennes. Et jusque là le scorpion et la hyène ont fait bon ménage.

Un autre personnage est son double, en creux, que l'on ne verra pas. Une femme qui fut son amie d'enfance et qui elle avait des rêves humanistes, la soeur de coeur de ma mère, dira Yasmine. (Angèle Baux Godard)

Enfin il y a Gazal, le/la conseillère, tour à tour confidente, dame de compagnie, coach et styliste à ses heures. Ghazal en persan cela signifie élégant et agile, et Sinan Bertrand assure une interprétation très juste même sans tomber dans le piège de la parodie que la farce pourrait vite induire.

Une farce baroque, certes, drôle souvent mais amère car, comme le souligne Yasmine à la fin : Il n'y a pas de révolution qui ne mange ses enfants.

Les deux femmes seront déçues. Ishtar la première puisqu'elle sera trahie par ses alliés. Ils ont fui depuis longtemps ou s'envoleront dans les airs (très belle idée du survol en hélicoptère au moment où le théâtre s'ouvre sur la forêt). Elle sera dévorée par les fauves qu'elle était fière d'exhiber sans son propre zoo. Yasmine parce que son souhait de jugement restera utopique. Il n'y aura pas de procès équitable et son incantation "pour que ça ne recommence pas ..." pourrait bien rester lettre morte.

A 20h30 les mercredis, jeudis, vendredis et samedis du 3 au 27 août

Après cette Lady First aux allures de Lady Macbeth demain sera consacré à Shakespeare avec Mon coeur pour un sonnet et Le Songe d'une nuit d'été.
Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher
40 rue du Théâtre - 88540 Bussang
Tél : +33 (0)3 29 61 62 47 - info@theatredupeuple.com
Billetterie : +33 (0)3 29 61 50 48

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Jean-Jacques Utz ou de Laurent Schneegans

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