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mardi 10 janvier 2017

Vie et mort de H, pique-assiette et souffre-douleur de Hanokh Levin

J'entends parler de Vie et mort de H mais le titre entier de la pièce a son importance. Car l'individu (on ne saura jamais très bien qui il est) est pique-assiette et souffre-douleur, l'un justifiant l'autre et vice versa.

C'est une comédie qui fait beaucoup rire parce qu'on s'imagine d'abord assister à un spectacle vaudevillesque. Les portes claquent, les rebondissements s'enchainent, la folie envahit le plateau qui prend des allures de manège.

Chez les Boubel, chacun est à sa place. Monsieur et sa femme Emnopée sont si bien installés dans leur confortable vie de petits bourgeois qu’ils se paient même "le luxe" d’héberger depuis dix-sept ans un drôle d’individu un "parent éloigné, pas même un cousin" nommé H, quadra infantile dont l’utilité semble essentiellement de servir de faire-valoir à leur bonheur conjugal, en échange de quoi il est accepté (toléré ?) quand il serait ailleurs perçu comme un pique-assiette.
Mais à l'instar des romans manichéens, le personnage principal, après avoir connu des heures heureuses, ne peut plus que dégringoler dans le tragique. C'est à ce drame que nous sommes conviés. Et quand H entre en scène, immédiatement repérable à la lettre brodée sur son pull, le spectateur n'est pas dupe. Il a beau lécher avidement une assiette d'une quelconque gourmandise on le sent touché par l'ironie du couple qui le font bisquer d'un "tu en seras jamais aussi heureux que nous !"

Son auteur, Hanokh Levin, a publié le texte sous le titre Hefetz, en Israël en 1972 mais la traduction est récente. Je remarque que H est autant a lettre figurant dans le titre original que l'initiale du prénom de l'auteur.

Il n'a pas inventé le concept de souffre-douleur au pair. Le bouffon du roi n'était rien d'autre. Sauf que celui-ci avait la garantie d'une liberté de parole et d'une impunité totale. H n'est pas insensible. On peut considérer qu'il s'est incrusté dans la famille faute d'avoir trouvé un emploi et des revenus associés, voire même par paresse de chercher à s'émanciper, car il est resté assez adolescent dans ses comportements. Mais en fait sa motivation essentielle est la proximité avec la merveilleuse, sublime Fogra, fille unique du couple– et objet secret de ses rêves  – qui hélas va se marier ... pas avec lui ... et de surcroit hors de sa présence puisqu'il est écarté de la cérémonie.
H fanfaronne : T'arriveras pas à me blesser dit-il à Boubel (Eddie Chignara), tu peux bien te pavaner avec tes mèches, crie-t-il à Emnopée. Il va pourtant péter un câble, comme on le dirait aujourd'hui, brandir les ciseaux et les conséquences seront catastrophiques, surtout pour lui d'ailleurs. Bruno Blairet interprète le rôle avec une large palette de sentiments.

Le contrat est en quelque sorte rompu. H ne supporte plus l'humiliation et se révolte, se place en retrait (Si seulement je pouvais me replier su moi-même et devenir une boule qui roulerait sous l'armoire) et annonce qu'il va se tuer.

Cette rébellion n'est pas acceptable par ces gens qui perdraient le souffre-douleur indispensable à leur propre existence. C'est une folle farandole que leur panique enclenche avec des situations de plus en plus inextricables et pathétiquement comiques. C'est aussi un vrai pur vaudeville enthousiasmant, délirant et drôle.

Le décor, qui m'évoque les suspensions de l'artiste Cécile Bart, fonctionne comme un emboîtement de manèges.

Lors de la présentation de saison, Clément Poirée, avait confié que le pièce touchait une de ses fortes préoccupations. Notre société fonctionne à l'humiliation et au bouc émissaire. Beaucoup de gens ont besoin de faire-valoir ou d'un souffre-douleur pour sentir que leur vie a un sens. La situation décrite par Levin n'est donc pas tant absurde qu'il n'y parait.
Le texte mérite d'être écouté. Il n'est pas aisé de savoir qui est heureux et qui ne l'est pas explique Pilo (Emilien Diard-Detœuf). La question du respect est bien entendu centrale, qui on est et ce que l'on vaut ... Fogra (Camille Bernon) joue admirablement la fille capricieuse qui fait toujours ce qu'elle a envie. Y compris se marier en petite culotte et casque d'aviateur.
La mère (Luce Mouchel) tente de jouer la copine. Capable d'échanger ses vêtements avec ceux de son mari. Tout le monde disjoncte ... La serveuse (Louise Coldefy) est facétieuse et surprenante de façon renversante.
Après une crise terrible tout le monde est enfin rassemble H pourrait crier victoire mais un ultime  et terrible retournement de situation aura lieu in extremis. La pièce résonne de manière terrible à l'heure où on dénonce partout le harcèlement. Elle démontre que la victime n'a pas d'issue. Son existence n'est pas remise en cause tant qu'elle supporte la martyrisation. Elle ne peut hélas pas envisager une autre voie. Elle est dans un piège sans issue et peu de gens en ont conscience.
Attachants et drôles, les personnages participent à l’inexorable et douloureuse hiérarchisation des rapports humains et tous les comédiens participent au succès. A l'exception de deux d'entre eux ils ont tous déjà joué sous la direction du metteur en scène.

Longtemps artiste associé du Théâtre de la tempête (dont il devient le directeur, sur proposition de Philippe Adrien) Clément Poirée y a notamment mis en scène deux pièces de Hanokh Levin : Kroum, l'ectoplasme et Meurtre. Il a aussi monté plusieurs Brecht et Shakespeare, la dernière étant La Nuit des Rois, l'année dernière.

En tant que collaborateur artistique de Philippe Adrien, il a participé à la Tempête à de nombreuses créations de comme Le Dindon de Georges Feydeau, Les Chaises d'Eugène Ionesco, L'Ecole des femmes de Molière ou Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit de M. Haddon, une pièce formidable qui est de nouveau programmée en avril-mai 2017.
Vie et mort de H, pique-assiette et souffre-douleur de Hanokh Levin
Texte français traduit de l'hébreu en 2010 par Laurence Sendrowicz in Théâtre Choisi VI, Pièces mortelles. Editions Théâtrales, éditeur et agent de l'auteur.
Mise en scène Clément Poirée
Du 10 Janvier au 5 Février 2017
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Au Théâtre de la Tempête - salle Serreau
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Antonia Bozzi

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