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vendredi 12 mai 2017

La Reine du tango de Akli Tadjer

J'ai eu l'occasion d'assister à une rencontre entre Akli Tadjer et Serge Joncour, l'auteur du magnifique Repose-toi sur moi, au cours de laquelle ils avaient confronté en quelque sorte leur mode opératoire d'écriture. C'était en janvier, à l'initiative de l'association Lire c’est libre. Il en est ressorti que Akli Tadjer est traversé par des thèmes qui sont fortement ancrés dans son parcours de vie et dans ses origines. 

Et pourtant, comme il le le soulignait, on ne se rend pas bien compte de ce qui conduit réellement à la décision de commencer un nouveau roman. Il y a 35 ans le tango était très ringard, réservé aux sexagénaires, alors que le public avait été convaincu par les chorégraphies de La fièvre du samedi soir.

Tout en étant d'origine algérienne, et alors qu'il avoue ne pas être un pro de la danse, l'écrivain adorait le tango qui est bien davantage qu'une musique, mais un art, un savoir-vivre, toute une culture en réalité, et qui faisait écho à son histoire. Il était très admiratif de l'agilité de Guy Marchand à pratiquer cette danse.

Un jour, il s'arrête sur le grand parvis de la Villette où une femme donnait des cours de tango, à quelque cent-cent cinquante personnes. Intéressé, il se rend à son cours plusieurs fois. Bien qu'il lise  une grande solitude dans son regard, il est loin de penser qu'elle puisse vivre seule. Au contraire, il lui fait la réflexion que son compagnon est bien chanceux. Il apprend alors avec stupéfaction qu'elle n'a personne pour partager sa vie. La situation est paradoxale. Cette confidence agit comme un déclic.

Il se documente, se passionne pour l'élite, de vrais athlètes qui entretiennent leur allure comme des sculptures. Il découvre un univers très romanesque qui charrie la nostalgie, les amours naissantes, les amours mortes, le déracinement, l’exil… parce qu'il y a quelques dizaines d'années quand on quittait l'Argentine, c'était pour toujours et on ne revoyait plus jamais sa famille. Tout cela est proche de lui de  toute évidence et ce sont des choses qui lui sont chères.

Cette rencontre coïncide avec une lassitude. L’Algérie est le théâtre de plusieurs de ses romans et il avait le sentiment de creuser toujours un peu le même sillon. Il avait envie de changer d'univers, et pourquoi pas de se glisser dans la peau d'un personnage féminin comme il l'avait d'ailleurs déjà fait (avec beaucoup d'intelligence) dans Les Thermes du paradis, un livre que j'avais beaucoup aimé.

Interpréter une femme de 30 ans, c'était se trouver en terre inconnue. Akli Tadjer s'estime bien loti, à vivre entouré de femmes, la sienne, ses filles et des amies qui pouvaient lui donner les codes de cet autre continent.

Il a aussi voulu écrire sur le sentiment amoureux et l'origine des difficultés à aimer. Les blessures viennent de l'enfance. Tout part de là. Ecrire nous renvoie à ce moment là. L'écrivain a toujours eu la perception de sa différence mais enfant, il n'en a pas réellement souffert. Certes à l'heure du catéchisme on lui disait sortir et il se retrouvait tout seul dans la cour malgré le froid. Mais il prenait les choses avec humour et philosophie : Je suis né pour être décalé. On peut pas voir le monde avec les mêmes yeux que les autres.

Auparavant, il avait remarqué, amusé comme peuvent l'être les enfants, l'accent de ses premiers voisins de la rue Etienne Marcel, qui étaient des pieds noirs. Ecoute maman, ils ont un accent. On ne sait même pas d'où ils viennent. Mon chéri, répondit sa mère, ils reviennent dans leur pays ... qui était le tien. Il appris ce jour-là que l'étranger c'était lui et qu'il était ce qu'on appelle un français de greffe. Cette anecdote lui inspira le Porteur de cartable, où un petit algérien promet de briefer le pied noir sur les français qu'il connaît par cœur en échange de la réciprocité pour découvrir l'Algérie.

Ce livre était très humoristique. La reine du Tango se déroule sur un registre totalement différent.

Suzanne a grandi seule avec sa mère, La Reine du tango, une danseuse magnifique qui a connu tous les succès, toutes les gloires. Disparue trop jeune, elle a laissé à sa fille sa passion de la danse, des souvenirs éblouissants et une peur immense de l’abandon. De cette enfance, Suzanne n’a gardé que le tango qu’elle enseigne sans oser le danser, et un vieil ami de sa mère, qui s’éteint à l’hôpital. Pour vivre pleinement et enfin danser comme la Reine du tango, Suzanne doit retrouver les clés de cette enfance, comprendre qui était sa mère, apaiser ses peurs et surtout rencontrer un homme capable d’être son partenaire dans la vie et sur scène. Lorsqu’elle croise Yan, un petit voleur, elle est prête à tout.

La véritable héroïne n'est pas la mère, qui fut la reine du tango. L'histoire de Suzanne est bien plus intéressante parce que c'est un personnage de notre époque. Son tort est de rester dans l'ombre de la mémoire de sa mère dont elle suppose que la mort est entourée d'un secret. Elle a des difficultés qui lui sont propres mais elle a un destin personnel à accomplir.

En tango, comme en amour, pour que ça fonctionne il faut être deux. La jeune femme va éprouver un coup de foudre pour Yan, alias Yanis, qui ne la voyait pas comme ça sa vie mais qui, de souci en souci, a basculé dans la délinquance. Yan n'est pas de son milieu, c'est un voyou, mais un vrai mec aussi qui préfère le rai parce qu'il a des origines gitanes. Curieusement ses a priori sont plus forts que ceux de Suzanne. Tout les sépare, mais il a un coté triste qui touche la jeune femme. Et il se révèlera avoir du potentiel sur une scène.

Il n'est pas nécessaire de connaître les codes du tango pour apprécier le roman. L'auteur nous donne les informations au fur et à mesure. Suzanne est une fille peu ordinaire. Quand on compte les moutons pour s'endormir elle ce sont ses élèves qu'elle visualise un par un, et par ordre alphabétique, pour espérer tomber vite dans les bras de Morphée. Mais avec Diego ce sont les rayons du soleil qu'ils comptent par millions.

Diego est un personnage complexe, qui a écopé de dix huit mois de prison pour avoir tenté d'enlever Suzanne quand elle était fillette. Ils se sont perdus de vue. Mais quand Suzanne entend un clochard chanter Pero mi solo amor/ mi solo réfugiol Te es Argentina, elle reconnaît son vieil ami et va prendre soin de lui. Il peut-être bénéfique, mais il a aussi sa part d'ombre qui inquiète Suzanne. Il sait combien il faut pour réussir un moral d'acier à toute épreuve, de l'abnégation, et beaucoup de talent (p. 214). Et pourtant il est prêt à l'encourager à réaliser ses ambitions et à foncer : à ton âge on croit la vie éternelle, mais quand on arrive à la fin, on se rend compte qu'on n'a vécu que le temps d'une étincelle.

Gilbert est flic et ce n'est pas un poète. S'il cite Paul Eluard, il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous, (p.126) c'est plus pour couper court à la discussion que pour lancer un débat philosophique. Sa demande de cours particulier de tango est un mystère et une source d'inquiétude.

Nina est la meilleure amie de Suzanne. Sa blondeur l'éloigne du cliché de la tanguera, mais elle danse divinement. L'amitié est une vertu pour Suzanne qui ne lâchera jamais son amie même si celle-ci lui préfère Mamadou.

Le rêve de la mère de Suzanne était de la voir danser un jour au Gran Rex et de devenir à son tour  la Reine du tango, rêve qui lui aussi était scellé sous le sceau du secret parce que Diego avait peur que l'histoire se répète. Suzanne réussira-t-elle à briser le secret de famille autour de l'incendie dans lequel sa mère à péri ? Yan prendra-t-il le virus du tango et pourra-t-il continuer sa vie sur une voie de rédemption ?

La Reine du Tango de Akli Tadjer, chez JC Lattès, en librairie mars 2016

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