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samedi 21 octobre 2017

Picasso devant la nature au Château de Sceaux (92)

Le domaine départemental de Sceaux propose jusqu’au 31 décembre une exposition d’oeuvres de Picasso qu’il ne faut pas manquer. Parce qu’elle est très bien conçue et parce que vous ne pourrez pas revoir certaines pièces, en particulier les dessins, avant plusieurs années. En effet les plus fragiles retourneront "au noir" au moins trois ans avant de pouvoir de nouveau être ressortis des réserves.

Picasso devant la nature est un intitulé qui interroge. On connaît surtout l’artiste comme portraitiste et s’il appréciait les paysages c’était surtout lorsqu’ils étaient peints par d’autres que lui. Sa collection personnelle en a témoigné. Et pourtant la patiente recherche de Coline Zellal et Dominique Brême, qui sont les co-commissaires de l’exposition témoigne de l’importance des éléments naturels dans son œuvre.

Ils se sont interrogés sur cette et ont décliné quelques réponses, composant un parcours original avec les œuvres prêtées pour trois mois par le musée Picasso. 

Une invention qui change tout, la photographie
Picasso (1881-1973) n’a jamais cherché à imiter ou reproduire la nature telle qu’elle est. L’invention de la photographie au début du XX° l'a amené à considérer les choses sous un autre angle que ses prédécesseurs. Il est devenu inutile de chercher à copier la réalité. Il aurait déclaré : j'ai découvert la photographie. Je peux me tuer. Le rôle de l'artiste sera alors plutôt selon lui de faire émerger d'autres sensations. Et celles-ci seront fortes en raison de son tempérament éminemment subversif.

Mais il utilisera la photographie tout au long de sa vie et fera lui-même les tirages Plusieurs clichés réalisés par Picasso lui-même à Horta de Ebro, durant l’été 1909 témoignent de son intérêt pour les paysages, alors même que le genre est peu représenté dans son œuvre. Ces clichés ont sans nul doute permis au peintre de dessiner ensuite différemment et de s'acheminer vers le cubisme. L’exposition présente plusieurs de ces dessins essentiels en les faisant dialoguer avec des dessins qu’il fit à la même époque, l’été 1909,

En libérant le peintre de l’exigence de la ressemblance la photographie va le conduire à s’interroger sur la manière de représenter un espace en trois dimensions sur un support qui n’en a que deux. Son intérêt pour cet art ne faiblira jamais. Ce sera d’ailleurs le métier d’une des femmes de sa vie, Dora Maar.
L’arbre qu’il représente au cours de l'été 1907, une huile sur toile, 94 x 93,7 peut être analysé comme une recherche pré-cubiste autour de la géométrisation des formes.  Il réussit ici, comme il le fera si souvent, à simplifier les formes sans pour autant basculer dans l'abstraction comme on le croit faussement.

Même si la lecture est difficile on peut apercevoir un tronc, des feuillages, et même un petit bout de ciel présent en haut de l’oeuvre.

Les rapports entre figure et paysage
Le peintre se moque des paysagistes mais il a acquis un grand nombre d’œuvres de ce genre pour constituer sa collection personnelle, c'est dire combien il les apprécie.
On ne reviendra pas sur le sujet : Picasso est le grand peintre du portrait et dans un tel contexte le  Paysage aux deux figures peint sur une toile de 60 x 73 cm, à l'automne 1908 dans l’Oise est assez emblématique. Il en fera une série de treize dont il ne gardera que celui qui est exposé ici. On y reconnaît clairement l’influence de Cézanne dont il reprend la palette de verts et d’ocres. Il était mon seul et unique maître, dira-t-il de lui.
On peut y reconnaitre la Vénus du peintre Giorgone couchée sur la racine de l'arbre de gauche. J'ai positionné des flèches pour faciliter le repérage des deux corps féminins.

Un peintre qui dessine en permanence
Picasso n’est pas un énergumène ne sachant pas dessiner, comme certains ont voulu le laisser croire. Il a une très solide formation classique. Picasso travaille sans relâche et il faut savoir qu’il ne corrige jamais. Jamais il ne gomme, préférant reprendre à zéro, sur une nouvelle feuille. C’est pourquoi on dispose de milliers de dessins.
Cette Etude pour baigneuses dans la forêt, exécuté au fusain et crayon Conté sur papier au printemps 1908, préfigure les corps géométriques des Demoiselles d’Avignon. On peut encore aussi y voir l'influence de Cézanne avec ses tableaux de baigneuses.
L’Arbre du 4 janvier 1944, plume, encre de Chine, lavis et grattages sur papier une feuille de grand format de 50,7 x 65,5 cm, est une œuvre unique et magistrale. C'est un portrait, un portrait d’arbre dont il est difficile de déterminer une espèce. C'est une pépite montrée à Sceaux, avant d'être remise au noir plusieurs années après le décrochage.

L'influence de Matisse est également perceptible
l'artiste témoigne d'une grande diversité des techniques, même dans le seul domaine du dessin, en combinant encres, craies, gouaches, et crayon. Il a aussi un sens très vif de la couleur qui éclate avec ses linogravures. Ce support était alors à la mode mais il lui donne une ampleur nouvelle dans une ton alité joyeuse et innocente. La série présentée dans l'exposition a été réalisée une cinquantaine d'années plus tard que les oeuvres précédentes.
Le procédé d'impression utilise une plaque de linoléum gravée en creux à l'aide de gouges. L'encre est déposée sur les reliefs. Pour obtenir la qualité d'une oeuvre comme cette Bacchanale avec chevreau et spectateur, épreuve d’artiste sur papier vélin d’Arches filigrané "Arches" de 62 x 75 cm, Picasso a gravé le support en plusieurs étapes, ce qui exige de déterminer dès la première impression le nombre de feuilles souhaitées.

Une autre linogravure attire l'oeil, datant de 1962, Tête de femme au chapeau / Paysage avec baigneurs, dont le double titre exprime que l'angle de vue détermine le sens. En l'imaginant avec une rotation de 90° on découvre un paysage qui se substitue au portrait.

Le bestiaire de Picasso
En 1936, sur une commande du marchand Ambroise Vollard, Picasso réalisa trente-deux illustrations animalières pour L’Histoire Naturelle de Buffon. Les commissaires en ont retenu dix-sept. L’emploi du grattoir et pointe sèche sur cuivre, rehaussé d'aquatintes au sucre permettent un jeu de lavis avec différents niveaux de gris.
On remarque combien l’artiste met en contexte. L'araignée se promène sur sa toile. La libellule tente une approche sur la surface de l'eau. L'autruche est lancée à vivre allure. A l'instar du crapaud elle est traitée en personnage qui aurait sa place dans une bande dessinée.
On retrouve sans surprise ses animaux fétiches comme la chèvre, le chien, le taureau (qui lui inspirera le Minotaure). On sait qu'il avait trois chats siamois, une tortue, une souris blanche ... il aura une chèvre à Vallauris, un singe à Cannes ... et toujours des chiens.

La nature serait une rivale de l'artiste
La nature intéresse Picasso comme force de production du vivant. Il reconnait par exemple à la mer un talent de sculpteur mais il considère cependant la nature comme une rivale sur laquelle il va prendre le dessus. Par exemple en ajoutant quelques traits sur une pierre pour orienter le regard du spectateur. Son petit coup de pouce démontre la supériorité de l’artiste sur la nature. C'est ce que fait le promeneur en posant deux galets l'un sur l'autre.
On remarquera douze photographies de Brassaï, reproduction des œuvres, parfois éphémères, de Picasso, en parfaite mise en abime du geste créatif. Plusieurs compositions au sable (très fragiles) sur des revers de châssis sont également présentés. Picasso les a réalisées à l’été 1930 à Juan-les-Pins. Objet à la feuille de palmier du 27 août 1930 (Sable teinté par endroits sur revers de toile et châssis, végétaux, carton, clous et objets collés et cousus sur toile, 25 x 33 x 4,5 cm) est l'illustration de sa manière d'utiliser la nature comme réserve de matières premières.
Il a employé du sable et une feuille de palmier qu'il a cousue.

La place de la femme-fleur dans la production artistique de Picasso
Picasso est le créateur d’un monde en inventant des créatures qui n’existent pas dans la nature. Pour chacun de ses modèles féminins il créé un système de signes de reconnaissance, un alphabet des signes, comme s'il peignait les visages de l'intérieur. Françoise Gilot sera une grande fleur, certes déstructurée mais immédiatement reconnaissable.
Fleur sauvage, ou coupée, ou mise sous presse comme dans un herbier, ... le Portrait de Françoise, 30 juin 1946, crayons de couleur sur papier, 65,7 x 50,5 cm, est peu connu.
Enfin l'immense toile, Nu dans un jardin, 4 août 1934, Huile sur toile, 162 x 130 cm, doit beaucoup me semble-t-il à Henri Matisse. Il s'agit cette fois de Marie-Thérèse qui apparaît en fleur épanouie dans une posture très érotique, au sein d'un décor orientaliste, comme l'Odalisque à l'esclave d'Ingres.

L’association des amis du musée et du domaine de Sceaux est extrêmement dynamique et initiatrice d’initiatives intéressantes vers des publics qui ne vont pas beaucoup au musée. Les malvoyants disposent maintenant d’une galerie tactile. Les jeunes enfants bénéficieront d'un sapin de Noël, d'un Carnaval et d'un sepctacle de contes dans l'Orangerie.

Picasso devant la nature
Du 15 septembre au 31 décembre 2017
Musée du Domaine départemental de Sceaux
en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris
Chateau du Parc de Sceaux (92)
8 Avenue Claude Perrault, 92330 Sceaux
Du 15 septembre au 31 octobre : 14h – 18h30
Du 1er novembre au 31 décembre : 13h – 17h
Le musée est ouvert tous les jours, sauf le lundi. Le musée sera fermé le 25 décembre.

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