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jeudi 28 décembre 2017

La Daronne de Hannelore Cayre

Quand on me propose de lire dans le cadre d'un Prix des Lecteurs un ouvrage déjà doublement récompensé (Grand Prix de littérature policière et Prix Le Point du polar européen en 2017) je me demande en quoi mon opinion pourrait avoir de l'intérêt ... Ce que j'aime c'est débusquer des petits bijoux d'écriture et les partager sur le blog, et surtout pas encenser des auteurs qui n'en ont pas besoin.

Mais, après tout, une médiathèque peut (aussi) présenter des livres vers lesquels on ne penserait pas se tourner malgré leurs qualités.

La daronne en a beaucoup. Je ne sais pas si le roman est représentatif du polar, pour moi c'est plutôt un roman noir, mais il m'a enchantée.

Hannelore Cayre est avocate pénaliste, née en 1963 et vivant à Paris. Elle a déjà publié, entre autres, Commis d’office, Toiles de maître et Comme au cinéma. Elle a réalisé plusieurs courts métrages, et l’adaptation de Commis d’office fut son premier long métrage.

On remarque Hannelore sur la couverture où elle s'est elle-même mise en scène dans la tenue de blédarde chic qu'elle s'est inventée pour l'occasion  : fausses lunettes Chanel griffées noires et dorées, hijab imprimé léopard, khol et tailleur pantalon avec tunique longue, bracelets dorés (p. 103).

En langage des cités, la daronne c'est la mère, mais c'est aussi la patronne, celle à qui on doit le respect et qui fait plier. L'auteure connait le sujet et le roman, quoique très fantaisiste est totalement plausible. Il est très bien écrit, souvent très drôle malgré des faits qui ne sont pas du tout comiques (les visites à la maison de retraite sont de vrais cauchemars pour qui doit les vivre au quotidien). Le propos est féministe, insolent, immoral, mais si représentatif d'une société qui dysfonctionne que c'est un régal de la lire.

Le personnage principal, 53 ans, a connu bien des déboires. On la plaint pour une enfance massacrée, par une mère qui la détestait et qui l'avait appelée Patience parce qu'elle était née en retard, tirée par les forceps, un mari mort d'un AVC sous ses yeux impuissants, qui la laisse à 27 ans avec deux enfants en bas âge, sans revenue, sans toit sur la tête, sans voiture ... A ce régime son esprit n'a pas tardé à planter (p. 23).

Elle est internée, pauvre chaussette dépareillée comme elle se surnomme. Et puis elle se secoue, vend ses bijoux, achète un (minable) trois pièces sinistre à Belleville et se met au travail : comme je n'avais rien d'autre à offrir au monde qu'une expertise en fraude en tout genre et un doctorat de langue arabe je suis devenue traductrice-interprète judiciaire en arabe (p. 25).

Quand on est avocate, mais peut-être Hannelore Cayre n'exerce-t-elle plus, ... balancer (comment le dire autrement ?) ces fonctionnaires du ministère de la justice qui font travailler les traducteurs au noir, sans protection sociale ni retraite alors qu'ils sont garants de la bonne moralité est extrêmement surprenant (p. 30) et le lecteur comprend que la femme qui raconte son histoire trouve ça flippant. Nous aussi.

Khadidja, l'aide soignante qui prend soin de sa mère, la déculpabilise de ne pas supporter cela. Elle a peur de la vie qui finit votre maman et vous aussi vous avez peur. Reposez-vous sur nous. Du coup elle rentre chez elle et fait une salade Miami en invitant ses filles (p. 55) dont elle est aujourd'hui fière et qui font, elle ne sait pas trop quoi, un boulot à la con où l'on s'étiole devant un écran d'ordinateur pour fabriquer des trucs qui n'existent pas vraiment et qui n'apportent aucune valeur ajoutée au monde.

Patience nous donne la recette de cette salade : coeur de palmier, maïs, rondelles d'ananas, dés d'avocat (doit-on y voir un trait d'humour ?), crevettes décortiquées, et une sauce cocktail obtenue en mélangeant ketchup et mayonnaise (dont elle nous livre les marques!).

Elle flingue à tout crin. Aussi bien le mouroir (pardon ... la maison de retraite) à plus de 3200 € par mois (qui l'oblige à accepter des traductions de conversation ineptes de trafiquants de stup au kilomètre pour payer les mensualités), que les chinois qui trafiquent sans être jamais inquiétés, et surtout (p. 42) le grand Mensonge français que les jeunes se prennent en pleine face à la sortie des études malgré tous leurs efforts : la méritocratie scolaire -opium du peuple dans un pays où on n'embauche plus personne, encore moins un Arabe. Les écrivains sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à dénoncer un système qui promet des rêves sans jamais donner les moyens de les financer.

Rien d'étonnant dans un tel contexte que le jeune soit devenu trafiquant, et que la daronne (qui ne l'était pas encore) ait franchi la ligne jaune, par solidarité féminine envers la mère du garçon, embarquée dans une affaire de deal, puis de blanchiment d'argent par des opérations immobilières pas très nettes, au détriment de son histoire d'amour ... avec un policier de la brigade des stup. Entre le shit et l'argent du shit il faudra bien choisir.

Khadidja décèdera dans des circonstances dramatiques, ce qui provoquera le départ de sa mère en soins palliatifs, l'ultime case du jeu de l'oie de la déchéance humaine (p. 75) nous raconte l'auteure dans des scènes terribles, mais si justes de l'évolution de notre société.

Le roman a deux qualités majeures. La première est de nous distraire car il est très bien écrit. Le personnage de Patience (quel prénom!) est complexe. Son ultra sensibilité à la couleur permet aussi de construire une intrigue complexe, comme la manière dont elle se prend d'affection pour un chien très spécial. La seconde est de souligner des dysfonctionnements de notre société, dans de nombreux domaines.

La Daronne de Hannelore Cayre, chez Métailié Noir, en librairie depuis le 9 mars 2017

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