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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 3 avril 2024

L’homme Femme de Laurent Viel

Laurent Viel aime chanter. Particulièrement les auteurs à qui il voue une passion. Surtout Jacques Brel, Barbara et Sylvie Vartan. Mais vous remarquerez d’autres sources d’inspiration déployées dans son dernier spectacle L’homme Femme.

Et alors que la question du genre est un thème largement d’actualité il ne tranche pas, jouant sur les deux tableaux. Il l’affirme dans la chanson éponyme.

Il se produit tous les mercredis à 21h00 depuis le 20 mars (jusqu’au 26 Juin 2024/ relâche le 12 Juin) dans une des caves du Théâtre de l'Essaion qui convient parfaitement à la formule qu’il a concoctée.

Laurent Viel s’affirme Homme-Femme. Il est tout autant Chanteur-Comédien. Ce spectacle, qui n’est pas nouveau puisqu’il a été créé il y a un an, se compose de 14 chansons, certaines anciennes, d’autre récentes, abordant les thèmes de l’enfance, la sienne comme le désir d’enfant par la GPA, de la blonde Sylvie, de l’amour, du genre et de la sexualité, du parcours d’une vie, de la brune Barbara, de la résilience… avec en bonus une artiste invitée à chanter avec lui à la fin car Laurent aime depuis toujours chanter en duo.

Le show commence et se clôture sur une évocation de Marcel Proust. L’ambiance se rapproche davantage du cabaret que du tour de chant. Les vidéos imaginées par Antoine Le Gallo habillent joliment les pierres apparentes en de savantes compositions kaléidoscopiques. J’ai particulièrement apprécié celle qu’il a conclue sur les paroles de La machine avec la chorégraphie de Raphaël Kaney Duverger interprétée par Isabelle Aichhorn, qui signe la mise en scène du spectacle.

C’est un spectacle où les paroles comptent. Alors, forcément, on y est attentif, quelles soient de Laurent Viel, qui conjugue les talents d’auteur, compositeur et interprète ou des plumes qui ont collaboré avec lui comme Philippe Besson, Yann Cortella, Romain Didier, Thierry Garcia, Xavier Lacouture, Marie Nimier …

Après une évocation de Marcel Proust, qui bouclera d’ailleurs le récital, Laurent interroge l’assemblée avec une chanson qu’il interprétait déjà dans « Viel chante d’Eon dit … le chevalier » (Ai-je vraiment compté ?) : je me suis égaré / J’ai tant voulu la gloire, les honneurs / Il est trop tard 

Le chanteur est plongé dans une totale obscurité mais on devine une épaisse fumée qui va se teinter de rubis alors que nous découvrons un ours en peluche de la même tonalité en équilibre sur l’épaule, symbole absolu de l’enfance par laquelle l’artiste tenait à commencer car elle le renvoie à la solitude … et à la nudité.

Quelques pas de danse (et il y en aura plusieurs au cours de la soirée) et voici Ventre Z, mi-parlée, mi-chantée, interrogeant sur la GPA, avec des paroles de Pascal Mathieu, qui a également écrit la suivante, Le fil du courant, traversé de clins d’œil à l’univers de la jolie blonde, alias Sylvie Vartan, qui fut la première à donner envie de faire de la scène. Elle dont le visage n’est plus sur l’oreiller mais sur le mug qui rivaliser avec l’ours en peluche sur le tabouret.

L’orchestration est magnifique et fait regretter l’absence de musiciens. On ne s’attendrait bien entendu pas à un orchestre symphonique mais un clavier, une guitare, une batterie accompagneraient formidablement le chanteur qui ne serait plus contraint à une forme de solitude. A d’autres moments c’est la présence de danseuses qui nous manquera.

Nous en parlions, la voici en majesté, Sylvie Vartan, dont on reconnaît à peine la voix mais qui se dessine très vite avec des références très explicites à plusieurs titres de ses chansons que Xavier Lacouture a agencés façon puzzle ( Comme un garçon, La Maritza, L’amour c’est comme une cigarette, Nicolas …), en soulignant d’un trait large qu’il s’agit bien d’elle au cas où nous n’aurons pas compris.

La longue dame brune, alias Barbara, rivalise avec la précédente, et on pourrait écouter longtemps son phrasé si particulier. La musique a été fort à propos composée par Romain Romanelli qui fut si longtemps son accordéoniste. Je signale que le spectacle-hommage qu’il lui consacre, L’homme en habit rouge, est un bijou.

Laurent enchaine en changeant de rythme avec une chanson dont il a écrit paroles et musique (avec Yann Cordella) : Qu’est-ce qu’il y a d’aussi beau ? Bien qu’il commence par j’aime les filles à talon (…) et qui jouent les princesses, les affirmations qui suivront renverseront le paradigme tout en faisant écho troublant au premier grand tube sur toutes les radios FM, en 1981, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin. Cette année-là Barbara chantait Regarde, quelque chose à changé, mais il ne s’agit pas du tout du même changement que celui que Laurent nous confie ce soir. Sylvie, plus nostalgique, chantait quant à elle Toute une vie passe / pleure des lettres d’amour et des coups de coeur / change. On n’oublie rien mais il faut garder pour soi un coeur déchiré quand l’amour s’en va.

Il y a une autre référence musicale (nous dirons un hommage, et ma mémoire n’a pas retrouvé de quel titre il s’agit qui, bien évidemment n’a rien à voir avec la chanson d’Alain Souchon mais plutôt avec une balade moyennageuse) dans la magnifique interprétation suivante, La machine (texte plein d’émotions de Xavier Lacouture) alors qu’une suite de notes électro ponctuent la chorégraphie superbement démultipliée à l’infini :
Elle passe l’aspirateur (…) pour aspirer son bonheur en poussière.
Elle refait les mêmes gestes pour calmer sa douleur. (…)
Quelques tee-shirts et un jean défilent dans la machine / Roulent au rythme du tambour.
Elle a relu la lettre / Le temps s’est arrêté / Elle retire de la machine/ Un homme en uniforme bleu / Mort au son du tambour.

Voilà Monsieur, totalement ancrée dans la tradition de la chanson à texte et où l’hommage est cette fois évident à Jacques Brel. Laurent Viel chante la suivante dos au public. Elle m’évoque le début du spectacle avec la référence explicite à Proust et la première chanson, Ai-je vraiment compté ? Il enfile ensuite une veste rouge, assortie à ses chaussures, pour interpréter Dans le corps d’un homme.

Voix de gorge dans Pianiste de bar pour célébrer Keith Jarret, Meredith Monk, et … Richard Clederman. La fumée noire masque l’artiste qui, en voix parlée célèbre cette fois Cole Porter, Gerschwin, et … toujours Richard Clederman.

Les belles paroles écrites par Philippe Besson pour Au temps qui nous reste abordent un thème très actuel, celui de la fin de vie.

Enfin arrive la chanson éponyme du spectacle : Quand je pense Homme je me sens Femme / Je dis Elle / Je pense à moi (…) Il faudrait trancher … mais pourquoi ? interroge Laurent avec malice en concluant Et l’avenir va me donner raison. Les paroles explorent la dualité, le double, mais nous ramènent aussi à l’enfance.
Laurent a l’habitude de chanter en duo. Il a l’excellente idée de solliciter chaque mercredi une interprète différente pour chanter avec lui. C’était Armelle Yons le soir de ma venue et le moment fut très réussi. J’étais particulièrement heureuse de voir cette artiste à ses côtés puisque j’ai chroniqué très récemment son dernier album. Ils ont interprété "L'amour que l'on n'a pas fait" et qui aurait pu conclure le show qui s’acheva quelques minutes plus tard par Une dernière danse.
L’homme Femme de Laurent Viel
Les mercredis à 21h00 jusqu’au 26 Juin 2024 (relâche le 12 Juin)
Théâtre de l’Essaion
6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris - Tél: 01 42 78 46 42

lundi 1 avril 2024

Dégustation pascale avec Newtable à l'Hôtel Pilgrim (Paris)

Sans doute vous êtes-vous régalés de chocolat hier puisque c’était Pâques. Je n’ai pas récidivé la dégustation que j’avais faite la semaine dernière, à l’initiative de Newtable, dans un cadre années 70 en plein cœur de Paris, à deux pas de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

C’était à l'Hôtel Pilgrim qui est un vrai havre de paix élégant et contemporain. Son style raffiné convenait parfaitement à la symphonie de douceurs chocolatées dont nous fîmes plusieurs bouchées.

Les tables avaient été placées en enfilade pour accueillir l’ensemble des produits proposés en dégustation, après que nous les eûmes immortalisés en photo, ce qui ne s’est pas fait sans une certaine pagaille parce que les uns tenaient à leurs clichés, les autres avaient déjà le couteau à la main, prêts à frapper dans les coques. Beaucoup de maisons de renom avaient livrés leurs chefs d’œuvre. Certains gigantesques, démesurés, d'autres tout petits. Tous délicieux.

Ce fut l'occasion de belles découvertes de la part de certaines maisons que je ne connaissais absolument pas, d’autres dont j’avais vaguement entendu parler et bien entendu des plus célèbres qui, comme je le pressentais, restaient fidèles à leur réputation.

On voit ainsi en bout de table des Oeufs Éclosion apportés par Les Belles Envies dont le design est très intéressant. Tout à l’heure, c’est leur entremet qui va nous surprendre et provoquer un plébiscite.
L'entremet Éclosion façonné généreusement par Les Belles Envies a fait l’unanimité. L’assemblage de croustillant chocolat noisettes et grué de cacao, biscuit Gianduja chocolat noisettes, crème brûlée chocolat noir, ganache montée chocolat au lait et glaçage chocolat noir a séduit tous les gourmets.
J’ai trouvé très mignonnes les adorables loutres de Wiliam Artigue, qui les a conçues sans doute pour plaire autant aux grands qu’aux petits. Derrière, on devine sur la première photo la Colombe de Pâques de Christophe Louie hyper moelleuse avec ses inclusions composées avec de 2 chocolats Mayan Red (vient directement du Nord de la jungle du Honduras) de la Maison Xoco, lait 48% et Noir 70%.

Christophe Louie est un pâtissier technicien de la gourmandise qui est parti en Italie pour se former auprès de Mauro Morandin. Il en est revenu avec un fragment de levain naturel qu’il nomma naturellement « Mauro ». C’est avec lui qu’il peut faire découvrir en France les brioches traditionnelles italiennes, le panettone mais aussi le Pandoro et cette Colombe que j’ai beaucoup aimée.

Je n’en pas fait de gros plan mais vous remarquerez sur la table une bouteille de rosé sans alcool de La Vie en Zéro du vignoble Producta. J’ai adoré l’idée mais ce vin gagnerait à exister avec un dosage en sucre plus bas. J’ai donc préféré le Crémant de Loire brut De Chancenny.
La maison Potel et Chabot était présente avec une Cartographie et le Méridien qui est une barre en chocolat noir Pérou, noix de Pécan et fève Tonka. Aossortiment de bonbons chocolat noir et lait Pérou et Equateur, praliné pignons de pin praliné pistache. Mais aussi avec un merveilleux Oeuf Atlas, ci-dessous.
Il rivalisait avec l’Oeuf Bijou, issu d’un méticuleux processus de dix jours réalisé par l'Hôtel Park Hyatt Paris Vendôme sous la cheffe Naraé Kim. Cette coque en chocolat noir, sur socle garni de praliné, avec sélection de biscuits est un délice absolu.
Plus fantaisistes, le s drôles de poissons de Chapon, l’oeuf en chocolat Equateur et le Poisson Globe, garni d'un mélange de fritures sèches et pralinées et d'un assortiment d'oeufs pralinés.
Un peu plus loin on pouvait goûter les tablettes et l’Oeuf Goeland, qui sont d’ingénieuses créations de Néogourmet, par le chef Thierry Marx
L’immense Oeuf Dans La Coque n’a pas davantage résisté aux appétits gourmands que les petits Oeufs à Bascule colorés et déclinés selon quatre recettes d'Alléno et Rivoire, toujours innovateurs. Le Grand Oeuf de Plaq a lui aussi terminé en petits morceaux. Egalement les élégants Oeufs aux noisettes caramélisées et l'Oeuf Prestige d'Hugo & Victor qui ont privilégié des ingrédients simples et bien sourcés, sans sucres ajoutés ni d’édulcorant, pour des chocolats et gourmandises qui sont censés nous vouloir du bien ! 

Bref, n’est restée que poussière de chocolat de cette si jolie table qui rassemblait toute la gamme de ce qu’on peut avoir envie d’offrir en cette période pascale : depuis les oeufs en chocolat et les traditionnelles fritures chocolatées, jusqu’aux réalisations prestigieuses en termes de volume et de design sans oublier la brioche et l’entremet.

Pour ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas Newtable je précise que cet organisme propose depuis 2022 un programme d'évènements uniques et conviviaux au travers de dégustations, des afterworks, des dîners thématiques, des pré-ouvertures, et bien plus encore.... annoncés par une newsletter à laquelle on peut s’inscrire gratuitement. L’adhésion au Club est réalisable en ligne ici

Dégustation de Pâques du 26 mars 2023
Organisée par Newtable avec Les Belles Envies, l'Hôtel Park Hyatt, Néogourmet de Thierry Marx, Plaq, Wiliam Artigue, Potel et Chabot, Christophe Louie, Hugo & Victor, Chapon, Alléno et Rivoire
Et pour les boissons Le crémant de Loire brut De Chancenny Et Le rosé sans alcool de La Vie en Zéro du vignoble Producta
A l’hôtel Pilgrim au 11 rue de Poissy - 75005 Paris dont Alceste (ci-dessus) est une barmaid très au fait des dernières tendances.

vendredi 29 mars 2024

La Fondation Alaïa expose Alaïa/Grès. Au-delà de la mode

Visiter la Fondation Alaïa dans le Marais est une expérience très simple et pourtant riche en émotions.

Carla Sozzani, présidente de la Fondation Azzedine Alaïa, évoque ses souvenirs dans un film qui est projeté dans une petite salle donnant sur l'accueil.

Issu d'une famille de cultivateurs de blé en Tunisie, Azzedine Alaïa (1935-2017) a très tôt pris un goût inattendu pour la mode et l'art. Encouragé par des amis de la famille à poursuivre une carrière dans l'un ou l'autre domaine, il se lance très jeune dans la sculpture et s'installe à Paris au début de la vingtaine pour devenir apprenti chez Christian Dior. Après avoir travaillé pour de grands créateurs de mode tels que Guy Laroche et Thierry Mugler, Alaïa ouvre un atelier dans son appartement en 1979 et présente sa première collection de prêt-à-porter un an plus tard. Sa trajectoire vers la célébrité mondiale de la mode a été instantanée et, en 1984, le jeune Tunisien a été élu meilleur créateur de l'année et meilleure collection de l'année par le ministère français de la Culture.

Azzedine Alaïa était un collectionneur passionné. Il rassembla des vêtements de multiples couturiers pendant cinquante ans. En 2007, le couturier avait décidé avec sagesse de protéger son œuvre et sa collection d’art en fondant l’Association Azzedine Alaïa, avec le peintre Christoph von Weyhe, et son amie depuis plus de quarante ans, l’éditrice et galeriste Carla Sozzani, afin que cette Association devienne la Fondation Azzedine Alaïa. Il souhaita d'emblée qu'elle s'installe dans sa maison, dans le Marais pour abriter ses collections de l'histoire de la mode, d'art et de design en plus de ses propres archives et demanda à son ami Julian Schnabel d'en imaginer le logo. Ce n'est qu'un an après sa mort qu'eut lieu la première exposition. 

Il suffit de faire quelques pas sous la verrière pour comprendre combien les affinités entre Madame Grès et lui étaient immenses. L’accrochage est d’une grande intelligence. Il suffit de quelques secondes pour saisir comment madame a pu déclencher chez Azzedine l’audace qui a caractérisé beaucoup de ses modèles.

Très vite notre œil s’aguerrit et, alors que parfois le modèle Grès est à gauche d’un Alaïa, et vice versa (on ne peut donc pas se repérer par un ordre systématique), on saisit qui a fait qui, preuve, s’il en fallait une, que jamais Alaïa n’a imité mais il a transcendé ce qui l'inspira.

La lumière est parfaite pour faire ressortir les plis, les drapés, la précision des coutures. Je loue cet éclairage remarquable, ne nécessitant quasi aucun traitement des photos. C'est tellement rare !

Connue pour ses créations sous le nom d’Alix en 1934, Germaine Émilie Krebs, dite Grès (1903-1993), fonda en 1942 la maison Grès, anagramme du prénom de son mari Serge. Des années 1930 aux débuts des années 1980, Madame Grès édifia une œuvre intemporelle, faite de robes drapées à l’antique, de plissés savants et de volumes découpés et aériens.

Comme Grès, Alaïa se voulait sculpteur et ils le furent tous deux en exerçant leurs ciseaux dans les tissus avec virtuosité et technique. Le vêtement tourne autour du corps comme une sculpture. Ses créations furent une source d’enseignement et d’admiration pour Alaïa qui possédait plus de sept cents modèles Grès et plusieurs centaines de photographies qui documentent la vie de la maison Grès, notamment signées des ateliers Robert Doisneau.
A gauche, Grès avec une robe du soir en velours de soie noire et  mousseline, brodée de cercles ajourés en perles de verre. Haute couture années 1960.
A droite, Alaïa avec une robe longue en maille velours noire à motifs circulaires en dentelle, encolure bateau, cintrée à la taille. Haute couture Automne/Hiver 2014.
Alaïa a fait également du prêt-à-pêorter, et avec un soin extrême. La principale distinction était sans doute la matière dans lequel le vêtement était coupé. Voici, à gauche une robe longue en maille de viscose jacquard noire à motifs losanges, smockée à la taille. Prêt-à-porter Automne/Hiver 2017
A droite, une robe courte en maille jacquard de laine noire à motifs de points et rayures losanges en relief, encolure carrée. Prêt-à-porter Automne/Hiver 2014.
A gauche, Grès avec une robe de jour courte en crêpe de soie noire, décolletée profond devant et au dos. Haute couture années 1970.
A droite, Alaïa avec une robe courte drapée en jersey mousseline de triacétate et polyamide noir, décolletée très profond, sangles en cuir noir. Prêt-à-porter Printemps/Eté 1991.
Alaïa aimait les bretelles. Il a aussi multiplié les modèles reprenant la forme du caftan traditionnel de son enfance tunisienne. Mais on sait moins que Madame Grès avait de semblables goûts. Voici, à gauche, Grès avec une robe longue style caftan en velours de soie noire, découpée à l’encolure créant un effet de double bretelles. Haute couture 1976.
A droite, Alaïa avec une robe longue en voile de velours noire, bustier, entièrement froncée, bretelles fines. Haute couture, pièce unique d’après un modèle original de 2007.

jeudi 28 mars 2024

Le Bar de l’Oriental de Jean-Marie Rouart, mis en scène par Géraud Bénech

Si la Seconde Guerre mondiale est un thème récurrent au théâtre le contexte indochinois est largement passé sous silence. C'est le thème central du Bar de l'Oriental.
Dans la petite ville de garnison de Lang Son, proche de la frontière chinoise, cinq personnages en quête d’eux-mêmes se retrouvent soudain face à leur destin – tragique ou médiocre selon leur parcours ou leur caractère – tandis qu’en arrière-plan, le conflit indochinois entre dans sa phase critique avec l’abandon par la France de la forteresse de Cao Bang.
Militaires ou colons, tous attendent le déclenchement inéluctable de la grande offensive vietminh qui se prépare et dont les signes avant-coureurs tiennent la ville en alerte. Pourtant, malgré l’urgence du présent, le passé semble peser de tout son poids sur les relations qui se tissent entre les différents personnages.
Que s’est-il donc passé cinq ans plus tôt, à Saïgon, en 1945 au Bar de l’Oriental ? Une promesse non tenue, un amour refusé par fidélité à un autre amour, à une cause supérieure, à un enracinement corps et âme dans ce pays si énigmatique… L’engagement politique, l’art, ou l’amour opèrent ici comme autant d’idéaux, parfois illusoires et pour lesquels certains iront jusqu’à sacrifier leur vie.
L'atmosphère est presque étouffante, sombre malgré ce qu'on interprète comme le chant nuptial des cigales et plus tard la voix de Jean Sablon interprétant C'est si bon.
Pour le moment rien ne semble serein. Le lustre diffuse peu de lumière. Une sirène résonne au loin. Entre un homme, un revolver à la main. On devine, caché derrière la claustra, un joueur de flute (Mai Thành Namdont la mélodie est déroutante mais sa présence, qu'il joue de la flute traditionnelle ou du tambour apportera une note poétique. La radio crache des infos alarmantes sur la guerre qui s’est rallumée en Indochine.

Personne n'est d'accord sur le bien-fondé du conflit. Pourquoi poursuivre une guerre qui n’a plus aucun sens. Le Tonkin est déjà perdu pensent certains. Mais on défend des amis qui aiment le parfum de la cannelle, du gingembre, l’odeur épicée de ce vieux palais justifie Dorothée (Gaelle Billaut-Danno).

Manifestement deux visions s’opposent. Elle n'a qu'une envie, monter à cheval près du fleuve. Son mari a la nostalgie des peupliers et la neige lui manque. Il étouffe, se sent trahi. A fortiori après avoir découvert ce petit mot rappelant à sa femme Rv vendredi 17 h MB.
Ce qui est intéressant c'est l'échafaudage de manipulations dans lesquelles les personnages s'affrontent en parallèle du conflit politique qui, d'une certaine façon, excite les comportements. Le spectateur assiste à la représentation du pouvoir où personne ne joue franc jeu.

Le mari (Charles Lelaure, en alternance avec Valentin de Carbonnières) trompe sa femme avec Marianne, sa belle-soeur (Katia Miran). Dorothée n'a-t-elle vraiment épousé Jean que pour le confort que pouvait lui apporter un homme "normal" ? Les intentions de Bobby, le beau militaire aux tempes grises (Pierre Deny) sont-elles d'une pureté sans faille ? Le commissaire Angeli (Pascal Parmentier) est-il dupe des craintes de Dorothée concernant sa servante chinoise ? Ne s'inquiète-t-elle pas plutôt pour ce Lo Fanto qui est probablement un dangereux terroriste ?

Jean-Marie Rouart montre combien le conflit peut vite prendre la forme d'une guerre civile, avec ce qu'elle a de terrible quand les protagonistes sont des personnes qu'on estime, et pour lesquelles on peut avoir des sentiments.

Le militaire passionné d'entomologie lance des menaces. Dorothée ne veut pas finir comme l'araignée Regina. L'ami d'hier peut devenir l'ennemi d'aujourd'hui, pour peu qu'il s'estime trahi. Qui pourrait en sortir vivant ? On se souviendra longtemps de l'image de Dorothée, se tenant très droite sur le bout du pont comme sur un bûcher dans un halo de lumière rouge avec en arrière-fond un crépitement qui fait monter l'angoisse.
Tout a été réuni, depuis les lumières, jusqu'au jeu subtil des acteurs, en passant par un décor évoquant parfaitement l'atmosphère tonkinoise, pour qu'on se projette dans cette histoire qui ne pouvait que mal finir.

Jean-Marie Rouart de l’Académie française, est né en 1943. Auteur de plusieurs romans dont Avant Guerre, prix Renaudot 1983, il a dirigé de Figaro Littéraire pendant vingt ans. Il a été élu à l’Académie Française en 1997.
Le Bar de l’Oriental de Jean-Marie Rouart
Mis en scène par Géraud Bénech
Avec Gaelle Billaut-Danno, Pierre Deny, Katia Miran, Charles Lelaure, Pascal Parmentier  et  Mai Thanh Nam
Au Théâtre Montparnasse - 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris
Jusqu’au 28 avril 2024
Mercredi, jeudi, vendredi & samedi à 19 h, dimanche à 18 h
Relâche exceptionnelle le dimanche 17 mars 2024
Les photos qui ne sont pas logotypes A bride abattue proviennent du Studio photo de Jarnac

lundi 25 mars 2024

Tempo de Martin Dumont

C'était une évidence. Après Tant qu'il reste des îles je ne pouvais pas manquer le livre suivant.
A trente ans, la vie de Félix, c’est Belleville, sa compagne Anna et leur bébé Elie. C’est aussi, le soir, jouer de la guitare dans des bars avec l’espoir tenace de voir sa carrière solo démarrer. Car la gloire, Félix l’a déjà frôlée. Tous les quatre, ils avaient le talent, l’audace, l’osmose. Il y avait la fièvre, l’excitation et l’insouciance. Leur groupe a décollé, puis tout s’est effondré. Alors, arrivé en ce point précis où l’existence l’exige, Félix doit faire un choix : poursuivre encore le rêve ou changer de regard sur sa réalité.
Après la mer, c’est la musique qui est le thème principal de ce roman, mais c’est toujours une histoire nostalgique de passion et d’engagement.

Felix, que le prénom devrait prédestiner au bonheur, a coupé les ponts avec les anciens membres de son groupe musical  par besoin de faire le deuil (p. 189) mais la méthode ne fonctionne pas. Devenir musicien professionnel, et surtout vivre de son art, est demeuré son obsession.

Berné d’illusions par un manager trop optimiste, crevant de ne pas savoir ce qu’il en est exactement, le musicien ose la démarche courageuse d’aller chercher la réponse lui-même auprès du producteur qui est venu le voir en concert (ce qui avait donné lieu à un récit homérique car il avait dû emmener son bébé). La vérité lui éclate au visage : C’est bien, mais il n’y a plus de public pour ça, c’est une question de tempo (p. 180). 

Martin Dumont s’est appuyé sur sa propre expérience pour explorer pourquoi beaucoup de nos rêves passent ainsi à la moulinette, non pas faute de talent, mais en raison d’un décalage dans la concordance des temps. A même pas vingt ans il avait formé un groupe de rock avec quatre potes. Il s’appelait Smatch. Le succès est venu puis tout s’est effondré.

Il faut du temps à Felix pour l’admettre mais comme lui dit son ami, Il y a un moment où tu comprends que tu ne seras jamais Picasso (p. 159). On est tenté de penser « Game over » et pourtant non parce qu’il y a (aussi) un moment où tu te remets à peindre (p. 205). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on ne fait pas le métier d’astronaute qu’il faut cesser de viser les étoiles. Ce qui n’est pas notre profession peut rester une passion.

Ce qui est réussi dans ce roman c’est la manière dont l’auteur nous fait comprendre que le talent seul ne suffit pas, les relations non plus. La sagesse populaire a sa formule : être là au bon endroit, au bon moment. S’il ne l’a pas été (pas longtemps) dans le domaine musical il a toute sa place en littérature.

Car être dans le bon tempo n’aboutit que si on fait les bonnes rencontres. Dans le roman c’est Kacem, le patron du restaurant qui se trouve en bas de chez lui qui lui offrira son amitié et une vraie aide professionnelle. Dans la vraie vie ce furent sans doute les éditrices des AvrilsSandrine Thévenet et Lola Nicolle, qui ont imaginé une « collection » au sein des éditions de Delcourt. Elles nous ont habitués à de belles surprises. Aucun doute qu’elles savent débusquer des auteurs en pleine jeunesse.

Martin Dumont est né en 1988, il est ingénieur pour l’éolien en mer, ancien membre d’un groupe de rock, et vit entre Rennes, Paris et Nantes. Après Le Chien de Schrödinger (2018) et Tant qu’il reste des îles (Les Avrils 2021, Prix France Bleu / PAGE des libraires, sélections Prix des libraires, Prix Relay), tous deux parus en poche chez J’ai Lu, il poursuit avec Tempo la construction d’une œuvre sensible et fédératrice.

Je signale qu’un QR code, en fin d’ouvrage, permet d’accéder à la play-list de ses 21 choix musicaux, depuis Bob Dylan, BB Brunes, Nina Simone, en passant par The Who et The Clash qui composent 1 h 21 de musique.

Tempo de Martin Dumont, Les Avrils, en librairie depuis le 3 janvier 2024

vendredi 22 mars 2024

Cheverny célèbre le printemps

Au Château de Cheverny la saisonnalité n’est pas un vain mot. Chaque période est dignement fêtée, particulièrement l’hiver avec Noël qui en est l’apothéose, et le printemps à travers la floraison de centaines de milliers de tulipes depuis maintenant dix ans.

Une variété porte même le nom de Cheverny. Son baptême a donné lieu à de belles réjouissances il y a un peu moins de deux ans. La faute au réchauffement climatique, … elle commence déjà à fleurir (ci-dessous à droite).

La précocité concerne aussi l’ensemble du ruban dont les bulbes, uniquement des Triomphe, ont été plantés -tous à la main- par l’équipe de jardiniers du domaine, renforcée par plusieurs temporaires pour que l’opération se déroule dans un laps de temps raisonnable, pendant dix jours à l'automne.

Ce ne sont que des tulipes Triomphe mais plusieurs variétés sont choisies. Sami, le chef jardinier, nous citera la Darin, à très grosses fleurs de 12 à 15 cm, de forme parfaite, aux tiges fortes et rigides, donc aptes à résister au vent en massif. Il y a aussi des spécimens de la Tulipa Kaufmanniana ou Tulipe nénuphar, originaire des montagnes d'Asie centrale, qui s'étend en grands tapis, petite, légère et charmante.

Ce sont 500 000 fleurs -simples, doubles ou triples comme la tulipe Pivoine- qui vont éclore d’ici quelques jours et embellir le parc pendant trois semaines. C'est un budget conséquent et l'an prochain on expérimentera de ne changer qu'un tiers des bulbes.


Le tracé des deux rubans est d’une beauté simple mais grandiose.


Vous constaterez sur les photos combien il y a déjà beaucoup à admirer dans ce parc qui évoque le célèbre Keukeunof néerlandais, riche de 9 millions de bulbes, tous plantés à la main, sur 36 hectares de parterre.

Il est situé dans la commune de Lisse, en province de Hollande-Méridionale, presque à équidistance entre Amsterdam au nord et La Haye au sud. Il est visité par 1,4 million de personnes entre la mi-mars et la mi-mai. Les Pays-Bas restent le premier producteur de fleurs au monde.
A Cheverny, la tulipe (aussi) est reine. Le premier bandeau était composé de 100 000 bulbes en 2013 et il était déjà fort beau. Il a été agrandi au fil des années pour arriver à 250 000 bulbes plantés en 2022.
Le dixième anniversaire est célébré de manière encore plus spectaculaire avec deux gigantesques bandeaux déclinant des fleurs en rouge, roses jaune, orangé, mauve et blanc. Chacun mesure 250 mètres de long et 12 mètres de large. Et comme Constance de Vibraye a toujours de nouvelles idées, un partenariat vient d’être conclu avec l'Ecole nationale des fleuristes. De par sa renommée, le nombre de visiteurs, l’immensité et la diversité du domaine, le Château de Cheverny représente un terrain d’expérience hors normes pour les élèves de cet établissement qui est unique en son genre.
L’ENF est la première organisation patronale à missions, administrée par des fleuristes en activité, pour tous les fleuristes, partout en France, quelle que soit la taille ou le statut. L'objectif est d'engager tous les fleuristes français indépendants à être acteurs du changement, qu’ils œuvrent en boutiques, en ateliers ou sur les marchés. Elle est unique en Europe. La fleuristerie est une voie d'avenir car on manque de personnel.

Elle se veut être un laboratoire de réflexions et de solutions au service de l’excellence de la filière. En ce sens les frais de scolarité sont pris en charge par les employeurs et elle assure 100% d'employabilité à ses élèves. Elle forme 450 élèves, toutes filières confondues, dont 80% de filles, au CAP en apprentissage (sur 1 ou 2 ans), également en BP en 2 ans, assure une formation en alternance, des formations pour adultes, y compris en reconversion professionnelle, et dispense aussi des cours d’art floral, de botanique, d’arts appliqués, de vente, d’économie… 
Les élèves sont régulièrement sollicités pour réaliser des décors traditionnels et des animations contemporaines. Certains sont intervenus à l'automne dans le château de Chambord, d'autres l'hiver dernier dans le cadre de "Noël à Chambord", sous la Direction Artistique de Garry TaffinMeilleur Ouvrier de France et enseignant à l'ENF. C'est lui qui encadre aussi l'équipe à l'oeuvre en ce moment à Cheverny.

Il a attendu d'avoir 35 ans pour postuler à être MOF et en parle peu avec ses élèves car il ne veut surtout pas instaurer de barrière. La transmission est une de ses missions fondamentales et il aime l'enseignement. Il a encore des objectifs de progression, par exemple en représentant la France à la coupe du monde.
L'opération aura mobilisé 25 étudiants et 2 professeurs sur 4 jour. Avant toute chose il a fallu déterminer  -au cours de deux mois de réflexion- quelles techniques on pourrait employer, dans quels espaces, repérer une salle de travail, évaluer les couts tant en produits, qu'en manutention et logistique pour produire une dizaine de pièces qui seraient réalisées en suivant une fiche technique, un peu à l'instar d'une recette.

En mesurant la part d'artificiel et de plantes naturelles pour tenir compte de l'entretien par les jardiniers du domaine. Les élèves sont réjouis, heureux de cette expérience de travail en petits groupes de 5-6 dans un cadre aussi idyllique. les deux étudiants qui ont répondu à nos questions sont très motivés à suivre une voie professionnelle qui fasse sens. Antoine aimerait ouvrir sa propre boutique. Margot est davantage attirée par l'événementiel. Tous deux ont été surpris par la difficulté de travailler en plein air, sous un soleil assez vif. La station debout exige d'avoir une bonne constitution, parfois de porter des bas de contention, et surtout de s'équiper de bonnes chaussures. On l'ignore souvent mais pour exercer cette profession il faut accepter de se lever vers 5 heures du matin pour aller s'approvisionner. Et combiner des compétences de savoir-être, de savoir-faire et une grande disponibilité.

Garry Taffin nous a expliqué pourquoi on utilisait de l'artificiel (qui parfois consiste en des fleurs stabilisées ou séchées) en donnant l'illusion du vrai. Comme en cuisine, la fleuristerie se soucie de travailler les produits de saison, avec une sensibilité aux fleurs françaises mais dont la production reste insuffisante; il faut donc se tourner vers la Hollande, surtout pour les chrysanthèmes. 

Il existe dans ce domaine également des tendances; En ce moment ce sont les bouquets déstructurés intégrant des fleurettes de nos jardins comme le cosmos ou la nigelle. Leur inconvénient est de ne durer que trois jours alors que les attentes du client sont de l'ordre d'une semaine. La fleur séchée reste une valeur sûre en touches minimalistes. Les émissions de décoration ont influencé les goûts. L'herbe de la pampa est en train de disparaitre.
Pour le moment l’intervention se "limite" au Jardin dit "des apprentis" qui est cerné de quatre nids de cigogne, et aux deux salles à manger du Château. Je parie que l’an prochain ce sera davantage. Quoiqu’il en soit, l’intervention de cette école est spectaculaire, et susceptible de faire naître des vocations. Il faut impérativement la voir avant le 15 mai car tout sera alors démonté. 

Les installations sont impressionnantes de sophistication, mais ce qui est fort réussi c'est qu'elles s’intègrent dans le cadre et n’excluent pas d’autres touches de décoration, dans le parc clos de 110 ha, dans le jardin bouquetier et potager et dans le jardin de l’amour. Tout n’est pas encore en place (notamment les barques fleuries qui seront prochainement placée sur la pièce d’eau).
Un coq surveille ses poules et compte les oeufs en chocolat qui sont "tombés" miraculeusement dans l'herbe d'une pelouse dense, obtenu sans aucun traitement.

jeudi 21 mars 2024

Le Malade Imaginaire mis en scène par Tigran Mekhitarian

Il y eut tant de Malade imaginaire, pas tous réussis d’ailleurs, et tant de pièces de Molière, certes illustre auteur, mais tellement monté, surtout l’année passée, que franchement, la perspective d’en voir un de plus ne m’emballait pas.

Sauf que c’était le Malade vu et mis en scène pat Tigran Mekhitarian. Quand je lis son nom sur une fiche j’appuie immédiatement sur le buzzer et j’accours.

C’est un des metteurs en scène les plus doués de sa génération. Il trace sa route à l’écart des sentiers battus, mais avec cohérence et je prends le pari qu’un jour vous serez nombreux à vous dire que si vous aviez su vous seriez venu plus tôt assister à une de ses créations. Vous ne direz pas que je ne vous ai pas prévenus.

Le spectacle a déjà commencé quand j’entre dans la salle. Argan (Tigran Mekhitarian) assis sur le trône, compte ses billets de banque, indifférent à ce qui se passe autour de lui, et aux images que diffusent deux écrans placés en hauteur, à jardin comme à cour. Les créations vidéo de Jérémy Vissio font sens. Le chanteur Lacrim clame nique ta mère. Les paroles de Soeur Emmanuelle abordent le thème de la violence ressentie par ceux qui vont si mal. Une maman retrouve son fils au réveil d’un coma de seize jours.

La lumière change. Argan boit, recompte ses billets. La musique est jouée en direct. La guitare accompagne la superbe voix de Camila Halima Filali  qui s’élève en direct. Tout  l'heure elle sera Louison mais nous ne le savons pas encore. Et puis, ce n'est sans doute pas volontaire mais étant brune comme L'Eclatante Marine (Angélique) on pourra confondre les deux femmes, ce qui pimente le spectacle. Comme, encore plus tard, nous finirons par comprendre qu'Etienne Paliniewicz cumule les rôles autour de celui de Thomas Diafoirus qu'il interprète à merveille.

Autant le dire de suite : la direction d'acteurs est un des points forts de ce spectacle. Anne Coutureau, qui elle même a fait jouer Tigran dans le Don Juan qu'elle a monté à La Tempête, est ici une Béline compulsionnelle comme on le remarque peu souvent. Il est probable que la distribution compose une harmonie inédite puisque cette même Anne Coutureau a aussi mis en scène L'Eclatante Marine dans son Andromaque la saison dernière en lui confiant le rôle d'Hermione. Se bien connait re doit peser dans la balance.

Revenons à la musique, celle-ci a des accents tsiganes. On n’ose pas battre des mains mais le coeur y est. Ecouter la chanson ne dispense pas de s'arrêter sur les paroles : De pire en pire, chez nous ça veut dire de mieux en mieux.

Argan allume son ordinateur. Il entre des comptes dans un tableaux Excel. On me laisse toujours seul, râle-il. Ils me laisseront ici mourir. En réponse la voix, superbe, s'élève : j’peux pas rester naïve.

Monsieur est coincé dans sa baignoire. Monsieur est-ce que vous êtes malade ? demande Toinette.

Car la maladie, pas vraiment imaginaire, est au coeur du dispositif. Argan souffre de n'être pas suffisamment regardé et s'imagine mal aimé, ce qui attise sa violence. Tigran Mekhitarian l'interprète en dépressif au bord du burnout et nous propose une version revisitée du grand classique dont il n'a pas changé le texte. C'est à peine s'il l'a enrichi de quelques interjections comme j'm'en bats les c… pour leur portée phatique en direction du public de la classe populaire (et ce n'est pas péjoratif) peu habitué à la scène. Ces petites phrases agissent comme des clins d'oeil rassurants.

Ce qui change, c'est le phrasé, qui prend une dimension rap, un genre musical que Tigran connait sur le bout des lèvres depuis son enfance. Ce sont les couleurs, essentiellement le vert (qui portait malheur au théâtre mais qui est aussi le symbole de l'espérance, du retour au calme et celle de la croix verte des pharmaciens) et le rouge (de la passion, de l'amour et de l'interdit).

Et puis c'est aussi la mise en scène, avec de belles images, des scènes drôles, des trouvailles, l'habillage d'Angélique comme s'il s'agissait d'une poupée, l'entrée discordante du prétendu futur mari, le côté mafieux du médecin, l'alcoolisme de son fils.

On aurait envie d'avoir le livret des paroles des chansons. On ne peut qu'en saisir quelques bribes : cocaine, clandestine, à part toi ça aller personne ne m’a touchée / j’ai tendance à tomber dans l’excès.

Le public, conquis, scandera "Imaginaire" quand il entendra le mot "Malade".

Ce qui est le premier signe du talent du metteur en scène, c’est de parvenir à rassembler un public au spectacle très large. Les fidèles abonnés des salles comme celle des Bouffes du Nord sortent satisfaits. Il n’a rien dévoyé, entendais-je dire ce soir. Les trentenaires qui ne vont pas facilement au théâtre osent le déplacement, se lèvent aux saluts et crient leur joie.

Et puis, autre bonne nouvelle, Tigran interprétera Missak Manouchian dans le prochain film réalisé par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, intitulé Monsieur Aznavour et dont la sortie est déjà annoncée pour Octobre 2024. Une autre comédienne de théâtre, Marie-Julie Baup interprétera Edith Piaf et c’est Tahar Rahim qui sera le chanteur.
Le Malade Imaginaire, adapté et mis en scène par Tigran Mekhitarian
Avec Serge Avédikian, Anne Coutureau, Isabelle Gardien, Sébastien Gorski, Camila Halima Filali, L’Éclatante Marine, Tigran Mekhitarian et Étienne Paliniewicz
Création sonore et musique Sébastien Gorski
Chorégraphies Camila Halima Filali
Lumières Denis Koransky
Scénographie Georges Vauraz
Costumes Axel Boursier
Création vidéo Jérémy Vissio
Aux Bouffes du Nord jusqu’au 31 mars 3024
Du mardi au samedi à 20h
Matinées les dimanches à 16h

samedi 16 mars 2024

Le Troquet de Marc Mouton

Il faisait doux ce soir. Des oiseaux paillaient haut dans le ciel, chahutant comme des mouettes en bord en mer. Si je n’avais pas la silhouette lumineuse de la Tour Eiffel en face de moi j’aurais oublié que je suis à Paris, dans le 15e arrondissement entre Volontaires, Cambronne, Sèvres-Lecourbe.

Les quelque tables qui sont posées sur le trottoir seront bientôt prises d’assaut. Tout le monde aura envie de dîner dehors à la nuit tombée dans le calme de cette petite rue où résonnent les cris des enfants et les oiseaux.

La fraîcheur se fait sentir. Il est prudent de rentrer profiter de la chaleur de la salle.

C’est la première fois que je viens au Troquet. J’ignorais qu’avant de devenir le restaurant de Marc Mouton c’était le domaine de Christian Etchebest, et de l’oncle de Christian à côté avant, et je comprends soudain l’origine du nom des restaurants La Cantine du Troquet. Je remarque d’ailleurs l’alignement des Guides Michelin à la couverture Bordeaux comme ceux que j’avais vus à Dupleix.

Marc Mouton a travaillé avec Christian et quand il a repris l’endroit il en a conservé les tables qui d’emblée instaurent une atmosphère qui fait penser au Pays Basque.

Elles sont sculptées de deux écussons et une fente permet d’y glisser le chemin de table traditionnel qu’on emploie dans cette région.

Aujourd’hui il n’est plus utilisé mais c’est bien dans du linge basque, rayé rouge sur blanc, qu’ont été taillées les serviettes qui sont posées sur chaque table.

Le décor est simple, dans un esprit bistrot, avec de multiples sculptures de taureau.
Le menu est écrit sur une grande ardoise. On peut lire parmi les desserts un soufflé qui est la spécialité du chef et qui est incontournable du menu, à longueur d’année. Mon choix ne pourra cependant pas se porter dessus ce soir. Je me suis « trop » régalée avec ceux de Excoffier pour tenter d’en commander ailleurs que chez lui.

Il est essentiel pour Marc Mouton qu’on vienne chez lui pour vivre un moment convivial et sans chichi. Ce sera effectivement sous ces auspices là que se déroulera le dîner.
En entrée nous nous sommes régalés de Rillettes de porc, parce qu’il était impensable pour moi de ne pas goûter la spécialité d’un fils de charcutier, et d’un Céleri rémoulade, caché sous un Croustillant de pied de cochon, parfaitement assaisonné d’une sauce savamment relevée. L’accord est inattendu et parfait. Les rillettes sont peu salées, inhabituellement fondantes, quasiment onctueuses. Et le pain grillé (de Jean-Luc Poujauran) est un délice, mais ça je le savais déjà.
Sur les tables voisines arrivaient des Chanterelles à la crème et leur œuf au plat, et un Saumon mariné, vinaigrette à l’aneth tandis qu’une Soupe de lentilles, croûtons, oignons et chips de poitrine patientait sur le bar.
D’autres convives se régalaient d’une belle tranche de foie gras accompagnée de pain toasté ou d’Asperges vertes en vinaigrette, les premières de la saison.
Nous avons été conseillés sur le choix d’un vin au verre pour accompagner nos assiettes.
Ce fut le vin blanc du Languedoc de La tournée de Ferraton Père et Fils 2023, un assemblage de Vermentino et de Viognier qui donne un vin fruité, très agréable. C’est un vin qui est fidèle à la tradition bistrotière. Dont l’étiquette ne manque pas d’humour en faisant référence au véhicule de livraison d’autrefois. Les plats commencent à arriver autour de nous : un Ris de veau grillé sauce Morilles, des Saints Jacques poêlées, jus fuméune Joue de bœuf braisée et sa poêlée de légumes …

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