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dimanche 1 avril 2018

Le monte-plats de Harold Pinter

En ce jour de premier avril je recommande un spectacle imprégné par l'absurde, Le monte-plats que l'auteur Harold Pinter, avait sous-titré Quelques heures à tuer.

L'affiche montre deux personnages, manipulés comme des marionnettes, et vous remarquerez une balle posée à coté d'eux, une vraie balle (mais à blanc) tirée pendant le spectacle et que m'a donné Mathias Minne qui est l'un des quatre comédiens  Je veux bien croire que ce n'est pas une blague, et qu'elle portera chance.

Dans un sous-sol, deux tueurs à gages, Gus et Ben, attendent leur prochain "contrat". Ben lit le journal et Gus cherche à faire du thé. Le temps passe, provoquant ennui, impatience et pour finir tensions entre les deux compères. Soudain une enveloppe glisse sous la porte, un monte-plats se met en branle. C’est le début d’une série d’événements étranges et angoissants. Sont-ils observés ? Par qui ? Pourquoi ? Qui donne les ordres ? Avec cynisme et humour noir, Pinter dépeint une société asservie qui obéit aux ordres, aussi absurdes soient-ils. On aimerait croire que cette société n'est pas du tout la nôtre... même pas un peu.

Étienne Launay, le metteur en scène, (qui joue au Lucernaire dans un autre spectacle, l'Affaire Courteline) considère la pièce au-delà d’un théâtre de l’absurde. C'est selon lui un "théâtre de dérision" associant un univers comique et un rire grinçant au tragique de l’existence : J’ai la conviction que l’absurde reste aujourd’hui un excellent vecteur de vérité. Pinter nous plonge dans le tragique de l’Homme face à lui-même, et dans l’angoisse incessante du monde extérieur qui nous hante tous. Gus et Ben sont deux personnes "déviantes" au sens sociologique du terme, et qui interrogent forcément l’ordre imposé. L’un de mes désirs premiers est de placer le spectateur au centre de cette bulle propice au questionnement de l’être pour nous permettre d’avancer, je l’espère, dans notre quête de vérité.
Et pour ce faire il a eu une idée géniale, celle de diviser le plateau en deux et d'engager deux acteurs pour interpréter Ben et deux autres pour jouer Gus. Ainsi ce sont, à Jardin, Benjamin Kühn (Ben 1) et Simon Larvaron (Gus 1), et à Cour, le couple Bob Levasseur (Ben 2) et Mathias Minne (Gus 2). Si on considère aussi les espaces qui s'étendent derrière le rideau de fond et les deux coulisses ce sont en fait six espaces dans lesquelles évoluent les comédiens. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Il y a une étanchéité sans faille et les deux duos évoluent chacun dans leur zone, organisé en trois espaces. Depuis la salle on ne voit jamais plus d'un Gus et un Ben, mais pas nécessairement dans le même camp de base.
Ce dédoublement théâtralise l'action, relance l'attention et surtout démontre que personne n'est irremplaçable.
Le spectateur perçoit la tension qui monte entre les deux compères ... pas tant copains que ça à entendre les critiques qui fusent :
Tu t'intéresses à rien ! reproche le premier
- J'optimise mon temps dit l'autre (alors que le public entend qu'il tue le temps).

Les deux ne font pas la paire. On sent la suspicion qui se propage et on suppute que ça pourrait péter entre eux, même s'ils sont partenaires, apparemment.
- Quand est-ce qu'il va appeler ? Il y a quelque chose de beckettien dans ce théâtre. L'angoisse est nette, comme si quelque chose de pas clair était en train de se tramer. Il n'y a pas que le flotteur (de la chasse d'eau) qui grippe. Ce n'est pas en chantant Oh when the saints que l'optimiste va revenir.

Ajoutez à cela de drôle de bruitages (quand le monte-plats se met en branle) et une réplique clé qui revient en boucle comme un mantra : On fera exactement pareil.

Le message des allumettes à quoi ça rime s'il n'y a pas de gaz ? Quel rapport entre une chose et une autre ? On est en plein dans l'absurde, même quand on croit débusquer un semblant de logique.

Ta gueule ! hurle le premier. Le second s'énerve franchement : à quoi il joue, on a passé nos tests ! (il suppute une nouvelle mise à l'épreuve. On se dit que si on était le boss on se débarrasserait d'un tel élément, quoique que ultra touchant et sympathique). On se demande si tout n'est pas manigancé à l'instar de ce que Yohann Charrin a mis en scène dans son court-métrage Premier Jour (finaliste du Prix Polar SNCF 2017). On y voit Safia, jeune policière de 25 ans, qui subira une épreuve pour tester sa loyauté avant de l'intégrer définitivement dans la prestigieuse brigade du 36 quai des Orfèvres après 5 années de service à Clichy-sous-Bois. 

Elle se trouve confrontée, dès son premier jour, à un dangereux criminel qui met sa droiture à rude épreuve. Dans Le monte-plats la mécanique est implacable et l’absurde questionne la condition humaine. Une rencontre avec l’équipe artistique est programmée le vendredi 13 avril 2018 à l’issue de la représentation.

Le monte-plat de Harold Pinter
Mise en scène Etienne Launay
Avec Benjamin Kühn (Ben 1), Simon Larvaron (Gus 1), Bob Levasseur (Ben 2) et Mathias Minne  (Gus 2)
En co-réalisation entre la compagnie la Boite aux lettres et le Lucernaire
Du 28 mars au 20 mai 2018
Du mardi au samedi à 18 h 30, le dimanche 15 heures
Au Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Pierre-Louis Laugérias

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